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Le défi du samedi
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11 avril 2009

La soif, et ce qui en découle... (Akel)

Elle lit la consigne en plissant des yeux. Qu’est-ce que c’était que ça, encore ? Pourquoi aborder un thème aussi… inhabituel ? Elle soupire, se reproche son manque d’ouverture d’esprit. Ou autre chose ? Elle ne sait plus vraiment, elle voudrait savoir ce qui cloche, pour une fois. Et puis, sans oublier d’écrire à partir de la consigne, bien sûr.

En souriant, elle se demande ce qu’elle peut bien pondre avec une consigne pareille. Certainement pas grand-chose ! … Enfin, dans le sens où ce ne sera pas excessivement long, bien sûr, parce que bon, elle a promis de se modérer. Et Akel tient à tenir parole, ou faire bonne figure. Au choix.

Elle repose son menton sur ses mains levées en soupirant, l’air soudainement très très embêtée. Pour une fois, elle se fiche que quelqu’un de sa famille débarque dans la chambre, et, plus encore, elle se fiche d’être prise en ridicule, en train de lire à haute voix la consigne, l’air très concentrée :

« Cette semaine la soif sera omniprésente dans notre défi… Ni monologue, ni dialogue, ni narration à la 1ière personne… Cap ? Ou pas cap ? »

Elle plisse les yeux encore une fois, pas sûre de comprendre. Elle a toujours eu l’habitude d’interpréter assez platement ce qu’elle entendait, alors, ce n’est pas surprenant que son imagination commence à voltiger vers la vision paradisiaque d’une douzaine de cocktails alignés sur une même table qui n’en finit pas. Elle se retient de baver, cette fois-ci bien décidée à ne pas passer pour une assoiffée invétérée. Quoique, vivre dans un pays chaud comme le Maroc aurait pu excuser un peu son écart, sauf que… sauf qu’elle a peur du ridicule, tout simplement.

En relisant encore une fois la consigne, cette fois-ci avec un ton très détaché, mais condescendant, elle a l’impression d’entendre une publicité de mauvais goût. C’est à peine si elle ne la compare pas à toutes ces lointaines pubs d’été (quoique, pas si lointaines, nous sommes presque en été, ici) où on faisait assez cruellement saliver la minorité du peuple devant des bouteilles de Coca Cola, de Fanta, Hawaii, Fairouz ou autres. Et le comble c’était que ça marchait bien, et que, Akel, elle, se retenait à chaque fois de courir illico vers l’épicerie du coin, histoire de leur donner raison.

Comme c’était loin, maintenant, tous ces souvenirs liés au soleil qui lui brûlait la peau à chaque fois qu’elle sortait ! La piscine, aussi, où elle n’osait plus aller, pour on ne sait quelle raison. « Peur de l’eau », répétait-elle à ses cousins qui n’arrêtaient pas de se moquer d’elle. Parfois même ils lui demandaient si elle ne se foutait pas un peu de leur gueule, derrière sa petite mine renfrognée… mais elle ne niait pas, quoiqu’elle n’acquiesçait pas non plus. Elle restait muette, comme toujours, comme lorsque son entourage l’ennuyait avec ses questions répétitives, comme lorsqu’elle se retenait d’être méchante, parfois. Non mais, qu’est-ce qu’il ne faut pas faire, dites-donc, pour qu’on lui foute la paix. Deux minutes, c’est trop leur demander ?

Pauvre Akel ! Pour une fois elle aurait bien aimé les mettre en tort, leur lancer un : « Mais vous vous foutez de moi, là ? Tout le monde sait nager, même les casse-couilles ! ». Mais elle ne disait rien, elle savait qu’ils avaient raison de se moquer d’elle et que, au fond, si leurs moqueries la blessaient, c’était forcément sa faute. Parce que oui, jamais, au grand jamais, elle ne laisserait ces petits morveux se moquer d’elle, pas même au prix de deux minutes de silence. Ah ça non !

Malheureusement, sa fierté ne repartait pas au grand galop, comme à l’ordinaire, et c’était bien la seule fois où elle se retenait de se montrer méchante. A quoi bon, au final ? Puisque tout était vrai, puisqu’elle ne savait pas nager. Du moins, pas assez bien pour s’éterniser dans l’eau. Elle a trop peur pour ça, de toute façon.

Depuis quand elle le sait ? Et surtout, comment ? Depuis quand, elle ne sait pas, mais comment, ça, elle le sait. Elle le sait depuis qu’elle a l’impression de couler, d’être absorbée par un creux interminable, les yeux fermés, à chaque fois qu’on lui verse un seau d’eau glacée sur la tête. Depuis que, quand elle se lave les cheveux, elle se débat, elle secoue vigoureusement la tête pour que l’eau, ce monstre dégoulinant et ruisselant de vie, ne vienne pas inonder son visage, s’immiscer dans sa bouche. Elle la garde souvent résolument close, par peur de sentir le flot du liquide pourtant tiède glisser entre ses lèvres, trouver sa langue, lui brûler la gorge, l’étouffer, petit à petit. Parfois, quand c’est sa mère qui s’occupe de ses cheveux, elle se tient très raide, n’ose pas faire de mauvaises manœuvres, pour ne pas semer de doute. Pour ne pas l’inquiéter, peut-être. Bien que, elle pencherait plutôt pour la deuxième hypothèse, histoire de garder la tête haute, hein.

Alors donc, quand sa mère ne remarque rien, quand elle verse verse verse l’eau, continue à verser, verser, verser jusqu’à ce qu’une grande marre se forme autour d’elles, quand Akel en a trop marre de garder les lèvres serrées, quand elle ne respire pas assez bien du nez, elle exhale brusquement, elle s’écarte en grognant un gros mot, sans le faire exprès. Sa mère la regarde alors très méchamment, mécontente. Elle se soucie peu des yeux rougis, de la mine hagarde, de la figure altérée par la peur.

Mais Akel ne dit rien, elle s’excuse, tout simplement. Puis elle retourne à sa place initiale, très lentement, comme si elle ne voulait pas, finalement. Comme si elle s’apprêtait à courir hors de la salle de bain, comme une gamine, sans lui laisser le temps de protester, à cette femme qui se prenait pour une tortionnaire. En sentant les griffes de la brosse lui érafler à nouveau le cuir chevelu, elle se rendra simplement compte que ce n’est qu’à ces moments-là seulement qu’elle a le plus soif de vivre, de fuir l’abîme, de patauger frénétiquement dans boue, dans l’espoir d’en ressortir vivante. Bien sûr, elle sait que l’eau est la source de vie, mais n’oublie pas pour autant qu’elle peut tout aussi bien être source de peur, d’angoisse et de crainte.

Bref, elle sait qu’il n’y pas que le bon côté des choses, dans ce bas monde.

Mais elle émerge, enfin. Elle se rend compte qu’elle était en train de contempler pensivement son écran, les yeux dans le vague. En y regardant plus attentivement, elle lit ce que la saisie automatique de Google avait affiché pour sa recherche, jusqu’à lors même pas encore commencée :

soif de culture
soif permanente
soif de sang
soif début de grossesse
soif intense
soif de vivre
soif excessive
soif grossesse
soif la nuit
soif du malt

 

Elle voit qu’en définitive, il y en a pour tous les goûts et les couleurs, alors elle décide de s’arrêter là, satisfaite.

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Commentaires
C
C'est prenant, assoiffant, touchant...
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V
Akel, ah quelle soif, soif de mots, maux et peurs, peur de l'eau, ose quand même, aime la vie...<br /> Sourire<br /> Vanina
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C
J'ai aimé de voir le défieur face à la consigne qui le défie. Le défi est relevé, sans couler, comme quoi pas besoin de savoir nager ;-)
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T
La consigne respectée "à la lettre" ! Bravo!
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A
C'est sûr que c'est moins gênant quand on s'y prend de cette manière... =)
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V
Je trouve que ça donne un autre regard de parler de soi à la troisième personne. J'aime bien.
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P
Doutes et incertitudes dus à la jeunesse. Je rapproche ce texte de celui de Walrus, Walrus qui n'a plus soif et qui désormais boit et Akel qui n'a que des soifs et qui hésite à tremper ses lèvres. Les deux pôles d'une existence?
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P
pas en manque d'eau pour un texte à lire et à relire
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J
Merci beaucoup à la consigne qui lui a fait plisser les yeux et par conséquence a conduit (oui, c'est voulu !) à découvrir ce joli texte.<br /> <br /> Bravo akel ! Et merci à toi aussi !
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T
Bravo! J'aime ce texte! Moi qui ne peux nager que la tête hors de l'eau... je comprends toutes ces sensations décrites...
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M
Nul besoin de Google dans ton cas ...<br /> Je suis de l'avis de Joe également !
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J
C'est bien aussi de ne pas courir avec les autres, de ne pas nager avec les autres, de ne pas écrire comme les autres. Et tu le fais bougrement bien, je trouve.
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