Lui (Papistache)
Seul à sa table de travail, Pierre veille. Lui, jadis auteur fécond, sourire las et yeux fatigués, espère que sa muse, angelot peint par Raphaël, animera sa plume.
Hélas, ce soir, comme tous les soirs depuis cet autre soir, de l’âme de Pierre ne sortent que volutes ectoplasmiques.
Indigentes pensées que l‘obscurité souligne.
Le néon brutal de sa lampe l’accable. Il est las. Las et vieux et triste. La nuit s’infiltre en lui. Elle pèse sur ses épaules. Pierre veille.
L’encre qui se refuse à aligner trois mots coule sur la feuille immaculée. Miroir de son âme ravagée. Vide intersidéral de sa pensée asséchée. Pierre veille. Aucune idée ne lui vient. Bol immense qui grouillait jadis. Bol vide et creux qu’il liche en vain et sur les parois duquel il ne trouve plus un atome divin. Cette matière qu’il croyait infinie, ce jus qui irriguait la moindre de ses soirées, nuque penchée sur son travail. Pierre devient la nuit. Nuit de Pierre. Son dos est raide, raide est sa fin.
Qu’une fois, une fois seulement, il retrouve la grâce qui l’animait du temps d‘avant, d‘avant sa solitude et son veuvage. Du temps où, auteur prolixe, il vétillait à l’envi. Elle est là pourtant. Sa muse est là, mais regardez, elle noue sa gorge.
Pierrot pathétique à la tête surmontée d’une raie moqueuse.
Que d’une trique arrachée à la haie vive, elle lui houssine une fois encore et l’âme et les joues ! Rien ! Pinocchio debout, dressé mais dérisoire et enveloppé d’ombre et de nuit.
Le simulacre écarte ses ailes et d’un sourire édenté fait cascader son rire. Pinocchio, coiffé du poisson-requin, sent venir la flamme qui le réduira en cendres.
Noir et obscur destin de Pierre sans sa Colombine. Crachent leur venin les vieilles qui pèsent sur ses épaules. Morve qui coule en filets gras sur son cou. Pierre redresse la tête et n’écrit plus. Sa muse s’est tue. Du temps où féconde sa pensée drageonneait en mille directions, il lui suffisait d’attraper une bribe et la magie opérait. Voyez le désert de son imagination tarie.
La cheminée du volcan ne crache plus qu’un souffle d’air corrompu. Pierre n’écrira plus. Déjà son souvenir se disperse. On l'a oublié. Il s'est oublié. Elle l'a oublié...