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Le défi du samedi
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24 janvier 2009

Défi 44 (Caro_Carito)

 

 

A Lisab@block.com.fr / RV Garnier. 18h45. 21/03.

A Fredv@intern.com.fr / OK.

 

18h45. Marches de l’Opéra, attendre. Une multitude de silhouettes stationnent, souriantes, ennuyées ou absentes. Je les questionne, ses voisines anonymes, histoire de temporiser... Il doit venir, longiligne et cheveux aux quatre vents tandis qu’une masse humaine, confuse, progresse sur le large passage clouté.

18h58. J’ai achevé le journal du jour. Rien. Il n’est toujours pas là. Je connais ses retards sans excuses, au gré du temps. Je ne m’inquiète pas. Pas encore. Enfin, j’essaye. Je regarde autour de moi. La place de l’Opéra est un endroit étrange, peuplée de voitures et de bus à perte de vue. Sur les marches devant le Garnier, les touristes étrangers s’agglutinent, vont et viennent, désorientés. Il doit y avoir une représentation ce soir. Seule témoin de leur désœuvrement, je suis au spectacle. Et il s’en faut de peu pour que ces visages hagards ne m’alarment : si j’étais si anonyme qu’il ne me retrouvait pas ?

19h. J’use le cadran de ma montre à force de vérifier la place des aiguilles. Toutes les minutes. Je lutte contre la confortable sensation de désespoir et d’abandon, la tentation de ne pas le voir ce soir, de simplement passer une soirée tranquille entre mon chat Violet et un plateau repas à picorer.

19h03. L’étape de l’angoisse est passée. Je pèse le pour et le contre. Je retrouve pour un temps les statistiques de mon enfance, les comptines qui prédisaient l’avenir, am stram gram. Comptons les nuages. Impair. Il ne viendra pas. Mon rythme cardiaque s’apaise. Je repère la cabine téléphonique où j’irai tout à l’heure consulter mon répondeur. Je n’ai pas de portable, inutile, je l’égarerai par mégarde parfois, par déni d’attache souvent.

19h05. Les minutes s’étirent paresseusement. Béatement, je regarde le ciel rose, sirupeux. Je suis assise sur les marches crasseuses, en compagnie d’un couple de Japonais bardés d’appareils photo et d’une jeune fille mélancolique plongée dans un livre. Je me demande si elle respire entre deux pages tant elle semble absorbée. Je respire lentement, avant de prononcer pour ma conscience filante une résolution : dix minutes. Pour la forme. Dix minutes d’attente pour pouvoir dire : « Je t’ai attendu une demi-heure et tu n’étais pas là ». Une demi-heure de guet pour rien. J’hésite sur la conduite à suivre: préparer une scène froide comme une tête de veau, raisonnée, avec une once de cynisme, ou accepter le pardon d’un air détaché ou blessée, pourquoi pas avec une moue mutine voire sensuelle. Me montrer magnanime ou exhaler une bouffée de colère. Mon cœur oscille à chaque éventualité. Envie de décider : « Allons-nous continuer ? » De laisser libre cours à toutes me s peurs, mes frustrations, mes silences. Ce jeune homme frêle ne résisterait sans doute pas à cette charge explosive. Et moi non plus.

19h08. La lecture du journal du jour m’a profondément ennuyée, après avoir lu chaque article au moins trois fois, j’en retire une profonde sensation de vide, identique à celle qui vous étreint au petit matin. Et puis j’ai horreur de l’attente, ça m’énerve, je me sens ridicule. Et légèrement paranoïaque : est-ce que tous ne remarque pas cette jeune femme esseulée ? On lui a posé un lapin sans doute. Pauvre looseuse. Et celui-là qui n’arrive pas. Les pas hasardeux des touristes et des badauds m’exaspèrent. Quelle idée de se donner un rendez-vous dans un endroit pareil. Et puis pourquoi est-il si en retard? Il ne l’est jamais autant. Jamais plus de vingt minutes. Brusquement, une pointe d’inquiétude transperce mon cœur. Et s’il lui était arrivé quelque chose ?

19h10. Et s’il nous arrivait quelque chose ?

19h13. Je l’aime bien ce type. En farfouillant dans un passé pas si immédiat, dans les premiers sans conteste au hit-parade. Sois honnête, c’est le nec plus ultra. Il ne m’ennuie pas, il ne râle pas, il est gai. Et il n’a pas ces sales manies communes à la gent masculine. J’énumère : laisser traîner ses chaussettes ou, selon les variantes, les slips, les mégots, les amendes... Si au moins ils s’agissaient de billets tout neufs ou de petits mots sympas. Revenons à lui.  Ce qui ne gâte rien, côté physique, il est pas mal. Conversation et sexe, mettons huit sur dix, on peut toujours progresser. N’empêche, ce beau mâle est en train de me poser un lapin et, si ça continue, je vais louper mon Bergman.

19h19. J’ai faim.

19h21. J’ai très faim.

19h22. Tant pis pour ma culotte chevaline naissante. J’entame une délicieuse barre chocolatée saturée en sucre, graisses et autres monstruosités. Je sais, plus dure sera la chute mais…

19h25. Ça m’énerve. Pour ce mec, je viens d’enfreindre lune de mes règles de base : attendre plus d’une demi-heure. Très mauvais. Je louvoie, je vieillis. Je me ramollis. Pouah…

19h30. Je papillonne, je regarde à droite à gauche. Ouf, le groupe de Japonais est parti finalement. Les gens entrent et sortent. Tenue de soirée de rigueur. La Traviata à l’affiche d’après le guide spectacle que je viens d’ouvrir ; hautement saluée par le Tout-Paris. Magnifique spectacle auquel on pourra se vanter d’avoir pu assister dans des dîners rasoirs.

19h31. Foule bigarrée et bruyante mais j’ai l’œil, je remarque un jeune homme, non plutôt un  bel homme. Il me sourit, je lui rends son sourire. Un instant se dire, peut-être une autre histoire. Qui sait ?

19h34. Je lui jette à nouveau un coup d’œil. Il me regarde avec insistance. J’entends mon greffier, mon noiraud, mon ange gardien comme s’il était à mes côtés. Allez ça ne fait pas mal de changer de crèche pour un temps ; t’as pas fait vœu de célibat ma cocotte. Et puis ton mec, c’est pas à cause de moi qu’il ne saute pas le pas ? Et un gars qui n’aime pas ton chat, tu peux le noyer dans le népéta*, il ne vaut pas plus cher…

19h38. Une jolie rousse, auburn, très « in », l’a rejoint. Le type brun s’en va avec elle et, en s’éloignant, me fait un petit signe. Je le regarde s’éloigne, dommage il est aussi bien de face que de dos.

19h42. Tu devrais avoir honte ma fille, ton Fred tu l’aimes bien. J’ai l’impression d’être une coureuse, une vulgaire fille des rues. Huit mois qu’on sort ensemble, cela compte. Et je ne peux pas toujours... fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve. Mon ange-gardien aux longues moustaches me susurrerait, tu n’es pas un peu cruche, toi dans le genre, avec tout ses mecs qui t’ont fait miroiter la lune… Normalement tu devrais connaître le dicton, chat échaudé

19h45. Je sens des larmes poindre au coin de mes paupières. Une heure et il n’est toujours pas là. Mon cœur saigne. Comme le ciel.

19h48. Heureusement, mon mascara est waterproof. Je me lève, mon chat m’attend. Je dois bien avoir une tablette de chocolat qui traîne dans mon sac, sinon je me ruerai sur l’épicerie du coin. Il est toujours ouvert et 5 euros de bonbons en vrac ne peuvent pas faire de mal à une personne au bord de la rupture.

Je sens une main sur mes yeux et son visage dans le creux de mon cou. Je sens l’odeur du bouquet de roses qu’il glisse dans ma main. Je me retourne et aucun mot ne me vient à l’esprit. Il est là et j’ai déjà oublié où je me trouvais. J’entends sa voix qui murmure dans mon oreille : « Je te regarde depuis une heure de la terrasse du café là-bas, tu es belle ». Et puis plus doucement encore : « Ça te dirait de vivre à deux, juste pour voir »

Je glisse mon nez au creux de sa nuque… et ferme les yeux.  J’entends alors une petit voix me souffler « à trois plutôt, non ? Il n’oublierait pas ton greffier ? »

* népéta ou herbe à chats

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Commentaires
C
Oui, oui moi aussi , je l'aurais envoyé ballader... mais bon. Sinon j'ai souvent attendu sur les marches de l'opéra, c'est un endroit où j'aimais bien donner rv. <br /> <br /> Et puis je crois que des fois, une femme quand elle trop longtemps seule elle avale bien des oculeuvres.. Ou pas.<br /> <br /> Merci pour vos comm, je commenterai petit à petit.
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P
C'est très joli - et très drôle toute cette attente et ce qui lui passe par la tête!<br /> <br /> Par contre, personnellement, le mec qui me sort une excuse pareille je lui fais manger son bouquet de roses ;o) !!
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A
J'ai pensé que ce Fred était vraiment un gros c**, et puis fianlement... il ne l'est pas tant que ça... c'est un très beau texte...
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R
alors là, j'ai a d0 ré .....<br /> pas de mot pour commenter tellement j'ai aimé le rythme, les mots, l'écriture et la chute....<br /> enfin un happy end !<br /> M E R C I
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M
.... "ça te dirai de vivre à deux, juste pour voir" .... Ah ... il était temps !!!!!
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M
Ah l'affreux la faire attendre pour mieux l'observer, il a intérêt à assurer maintenant. J'adore l'idée d'un chat ange gardien. Thalis ! Viens voir ici ma minette j'ai deux mots à te dire
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C
Magnifique écriture. Le fond, la forme, l'enchaînement. <br /> Une façon de penser que j'ai déjà dû voir trainer dans ma tête !
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B
La fin est très belle !<br /> Et j'aime aussi toutes ces pensées qui émergent quand l'inquiétude et l'angoisse sont là..
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T
J'adore "la scène aussi froide qu'une tête de veau" ... je vais m'exercer ;-)) tu comprendras un jour pourquoi ;-))
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C
1ère réaction... Je promets d'essayer d'être à l'heure aux rendez-vous !!<br /> <br /> Très bien raconté... :-)<br /> <br /> PS : Je ne peux m'empêcher de me dire que cette heure passée à la regarder n'est probablement qu'un mensonge inventé pour justifier cette attente et cette proposition de vie commune une astuce pour re-ferrer le poisson que l'on sent partir...
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W
Encore plus goujat que moi, ce mec !
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J
Le drame doit avoir lieu à l'époque avant-GSM. ;-)<br /> <br /> Le fond, j'aime pas trop, mais il y a tant à aimer dans la forme, des petits bijoux linguistiques parsemés partout que cela fait de ton texte une parure étincellante.<br /> <br /> Parfait pour l'Opéra.
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J
Quelles drôles de moeurs ! Mais aussi, quelle belle écriture ! Ce portrait de l'ange gardien en chat noir et violet qui "protège" sa souris en la livrant sans voix à son rusé chasseur... est... comment dire... terriblement bergmanien, non ?! <br /> ;-))
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P
Il n'aime peut-être guère les chats mais sa technique de traque me semble féline. La belle appâtée ne songe même pas à se défendre, elle fond. C'est du grand art, Monsieur le guépard !.
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T
Ma première idée, après avoir lu cette rencontre si bien racontée, était de dire "oh le con! Laisser poireauter sa douce pendant une heure! Il aurait pu la perdre... si il n'y avait pas eu la rousse..." Mais elle a l'air heureux, alors, on lui pardonne aussi...
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V
Caro, j'ai aimé lire les pensées confuses durant l'attente, c'est très bien décrit, bravo! <br /> En fait, j'ai aimé lire ce texte tout entier.<br /> <br /> Mais, moi je ne pourrais m'empêcher de lui en vouloir un brin...<br /> <br /> Bravo!
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J
La chute est delicieuse. Du pur Caro!
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