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Le défi du samedi
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20 décembre 2008

John Mac Dermott sauve Noël (Poupoune)

Ce 24 décembre, comme tous les 24 décembre, j’avais passé la journée au bureau à cuver après la cuite magistrale de la veille… C’était une tradition, la soirée de Noël chez Gégé. On la faisait le 23 parce le 24, la Toinette voulait que Gégé l’emmène à la messe de minuit alors il fermait de bonne heure… Elle croyait pas plus au bon Dieu qu’aux promesses de Gégé qui jurait une fois par an qu’il arrêterait de boire, mais elle aimait bien les chansons et elle trouvait que dans son costume de fête et ses guirlandes le curé faisait « très Noël », comme elle disait. Alors nous, comme on était pas exactement à cheval sur les traditions, ben on se prenait la biture de Noël le 23 décembre. Avec tous ces gens qui nous reprochaient de boire sans raison, on mettait un point d’honneur à ne pas rater les occasions de picoler où justement on en avait une bonne, de raison…

 

En cette fin de journée du 24 décembre, alors que les rues commençaient à se vider et que les néons capricieux de chez Gégé avaient cessé de clignoter sous les fenêtres de mon bureau, j’étais donc pas frais. Comme ma Lulu travaillait cette nuit, j’avais le temps de finir de cuver tranquille… Un grand cœur ma Lulu : elle avait presque de la tendresse pour « ses désespérés de Noël », comme elle les appelait. Tellement malheureux d’être seuls qu’ils venaient se réchauffer l’âme et le reste dans les bas des filles de chez la Rolande la nuit de Noël… et pour rien au monde elle leur aurait fait faux bond, ma Lulu. Une grande dame. Et du coup moi je songeais à me positionner horizontal, bien calé au fond de mon canapé pour faire ma nuit, quand ils ont débarqué.

 

Trois zigues qui devaient pas faire trois mètres de haut à eux trois, déguisés en nains de jardin sautillants et qui se sont octroyé d’office le canapé que j’essayais d’atteindre en titubant. Ils m’ont fixé avec un mélange de dédain et de scepticisme. Je les ai fixés avec un mélange de nausée et de doute : y avait-il vraiment trois nains de jardin assis sur mon canapé ou étais-je encore vraiment bourré ? Je me suis rassis derrière mon bureau en me disant qu’une fois que ça tanguerait plus j’y verrais sûrement plus clair. Mais ils étaient toujours là. Et cette fois je les ai fixés de mon plus beau regard d’abruti. Jusqu’à ce qu’y en ait un qui se décide à parler :

 

- C’est vous Jean-Marc De la Motte ?

- Euh… ouais. En fait c’est John Mac Dermott.

- Oui, oui, on a vu la plaque tape-à-l’œil sur la porte…

- Tape-à-l’œil ? Ben faut bien qu’on la voit quand même !

 

Voilà que des guignols échappés du cirque faisaient des remarques désobligeantes sur ma plaque ! J’y avais mis presque tous les bénéfices de ma première enquête, dans cette plaque : « John Mac Dermott & Associés, détectives privés », en belles lettres tout emberlificotées sur fond de dorures rutilantes… Bien sûr que c’était tape-à-l’œil ! Ils croyaient quoi les nabots, que la clientèle allait venir là des fois par hasard voir si y aurait pas un détective dans les parages ? Fallait l’attirer, le chaland !

 

- Et d’abord comment vous savez que je m’appelle Jean-Marc De la Motte ?

- On sait beaucoup de choses… D’ailleurs, les associés, là, ils sont où ?

- J’en ai pas, vous le savez pas, ça ?

- Bien sûr que si… On vérifiait. Vous avez dit la vérité, ça vous rachète un peu…

 

Ils commençaient à me les briser, les demi-portions. L’allait pas falloir qu’ils s’attardent trop. J’avais déjà la tête comme une timbale un soir de concert alors faudrait pas qu’ils me titillent beaucoup avant je vérifie si un par un ils pourraient redescendre par le vide-ordures.

 

- Bon, et vous avez atterri ici par erreur pendant un concours de lancer de nains où vous êtes venus pour une raison particulière ?

- On a besoin de vos services.

- Vous voulez que je prenne Blanche-Neige en filature ?

- Le Père Noël a disparu.

- 

- Vous avez entendu ?

- Oui, oui. Euh… Lequel ?

- Vous en connaissez beaucoup ?

- Ben… euh… Alors y a le père Noël qui tient la boucherie « Au bon nonos à Nono », y a le père Noël qui vient le jeudi chez Gégé avec le père Antoine, y a le père Noël qu’on appelle comme ça parce qu’il a épousé la mère Noëlle, mais en vrai il s’appelle Robert…

- Bon, ça va, arrêtez. Nous on cherche le vrai Père Noël. Celui qui doit distribuer les cadeaux aux enfants cette nuit.

- Hum… Et vous êtes ?

- Ben ses lutins, pardi ! Vous croyez qu’on est quoi ? Des nains de jardin ?

 

Je sais pas pourquoi je les ai pas foutus dehors illico, histoire de piquer la ronflette dont j’avais besoin, toujours est-il que je les ai laissé m’embobiner, les minus. Faut dire que j’avais pas beaucoup mieux à faire cette nuit : dans mon état je ferais sûrement pas avancer beaucoup l’autre enquête que j’avais sous le coude et puis faut avouer qu’ils avaient réussi à m’amuser, les trois clowns, avec leur histoire de Père Noël à retrouver d’urgence, attendu qu’on était le 24 décembre et qu’il était déjà 18 heures…

 

Comme c’était fermé chez Gégé, j’ai sorti la bouteille de secours que je garde au bureau pour les cas de force majeure et je m’en suis jeté un petit avant de partir avec mes trois mini-comparses à la recherche du Père Noël.

 

Ils m’ont expliqué que d’après la feuille de route de leur boss et compte tenu de la dernière position qu’il leur avait signalée, il devait pas être loin… Pour ne négliger aucune piste, j’ai passé un coup de fil à ma Lulu pour lui demander si elle avait déjà vu passer des Pères Noël au bordel… Elle en avait déjà eus deux, mais aucun dont la barbe était vraie. Je lui ai dit de me prévenir si des fois il s’en présentait un plus crédible. Par acquis de conscience j’ai aussi passé un coup de fil chez Madame Suzanne à la Fanfan. C’était pour elle que je travaillais en ce moment et comme je bossais à l’œil elle était toujours prête à me rendre service. Mais pas de Père Noël de son coté non plus pour le moment. Elle m’appellerait si jamais.

 

On arpentait les rues le nez en l’air histoire de pas le louper si des fois le vieux s’était coincé dans une cheminée, mais je cherchais surtout une idée de l’endroit où il pourrait être intelligent de chercher. D’habitude c’était à mes copains de beuverie chez Gégé que je soumettais ce genre de question et en général je ressortais du rade cassé comme un coin mais avec une piste pour le lendemain mais là, Gégé fermé, mes alcoolos étaient dispersés aux quatre coins de la ville, certains buvaient même à domicile autour d’une dinde, ou deux pour ceux qu’étaient mariés, alors j’avais plus qu’à me démerder tout seul avec mes lutins… C’est con, ça les aurait fait marrer, les poteaux, chez Gégé, de me voir me ramener avec mes nabots…

 

J’étais perdu dans mes pensées quand je me suis pris de plein fouet un parcmètre planté droit comme la justice au milieu de mon chemin. Et c’est là que j’ai eu l’idée.

 

- Et vous êtes allés chez les cognes ?

- Croyez vraiment qu’ils nous auraient pris au sérieux ?

- Ben je vous ai bien pris au sérieux, moi…

- Vous êtes un ivrogne de privé raté sans le sou et vous n’avez accepté de nous aider que parce que vous préférez toujours ça plutôt que cuver seul dans votre bureau miteux un soir de Noël.

- Z’êtes durs là…

- 

- Mais on va quand même faire un saut à la maison poulaga. Venez.

 

J’accélérai le pas direction le commissariat, bien la première fois que j’y allais de mon plein gré en ne risquant pas a priori d’y finir la nuit en cellule de dégrisement, avec comme trois petites ombres qui trottinaient derrière moi… Ça me faisait marrer de les faire galoper et comme ils m’avaient quand même un peu vexé, j’allongeai encore mon pas. J’entrai le premier dans le commissariat, mes trois nains suants et soufflants arrivant en courant un peu après… On a la vengeance qu’on peut.

 

- ‘Soir !

- ‘Soir.

- Z’auriez pas eu du Père Noël, des fois, ce soir ?

- Lequel ?

 

J’entendais les nabots s’agiter dans mon dos, apparemment ça les chiffonnait qu’on mélange leur patron. J’ignorai.

 

- Z’en auriez pas un qui dit qu’il est le vrai Père Noël ?

- Si, à peu près tous…

- OK. Qu’est-ce que vous avez alors ?

- Attendez… que je regarde… On a déjà deux états d’ébriété…

 

Mes lutins secouaient la tête.

 

- … un tapage nocturne, un vol à l’étalage …

 

Trois têtes qui se secouaient avec encore plus d’énergie en faisant gling-gling du grelot qui pendouillait au bout de leurs bonnets ridicules.

 

- … un exhibitionniste…

 

Gling gling gling gling gling.

 

- … un qui nous a foutu un bordel montre au carrefour Saint-Jérôme en bloquant la circulation avec un char à bœufs…

- C’est lui ! C’est lui ! C’est lui !

 

Je regardai mes lutins avec perplexité… Ils avaient l’air bien sûr d’eux. Moi j’étais pas super au point sur les us et coutumes en vigueur, mais le char à bœufs, quand même, ça me turlupinait.

 

- Et votre patron il devrait pas plutôt se balader en traîneau tiré par des rennes ?

- Si. On vous expliquera. Vous pouvez le faire sortir de là ? Il va être super en retard, là.

- Brigadier ? Vous le gardez pour quoi celui-là ?

- Bof… Pas grand-chose. Il était pas très cohérent, un peu désorienté, il emmerdait tout le monde avec ses bœufs, alors on l’a mis là mais si vous le voulez vous pouvez le prendre, hein ? Z’avez qu’à signer là. Et pis vous oublierez pas ses affaires : il avait un grand panier… Le char et les bœufs sont dans un champ, près de chez Léon, à la sortie de la ville… Voyez où c’est ?

- Je vois, ouais. Merci bien. Joyeux Noël.

 

Sur le chemin pour aller chez Léon, ils m’ont expliqué que le Père Noël avait eu une grève des rennes cette semaine. Ils réclamaient le droit à des jours RTT et refusaient la clause qui stipulait que le 24 décembre ne pourrait être posé qu’à titre exceptionnel et à condition de ne pas compromettre les livraisons. Les négociations étaient dans une impasse mais les livraisons devaient quand même être faites. Le Père Noël avait essayé de jouer les briseurs de grève avec son histoire de char à bœufs. Ça lui avait pas bien réussi jusque là.

 

Les lutins pensaient que si le Père Noël acceptait de retirer la clause du 24 décembre, les rennes reprendraient le travail sans délai et assureraient la livraison. Le Père Noël était sceptique mais n’avait plus vraiment le choix. Moi je pensais qu’il allait être temps de reboire un coup si je voulais pouvoir continuer à écouter ce dialogues de dingues.

 

Arrivés au champ de Léon, tout le monde est monté dans le char, les lutins, le Père Noël et les bœufs, et je jurerais qu’ils se sont volatilisés.

 

Moi je suis rentré au bureau me réchauffer à ma bouteille de secours et dormir enfin, histoire de me remettre les idées en place après cette nuit déconnante.

 

Mais quand au terme d’un court sommeil agité j’ai vu ma Lulu, sa silhouette longiligne se découpant sur la lumière blafarde du petit matin, en train de s’effeuiller avec langueur au rythme de ses talons aiguilles cliquetant sur mon plancher grinçant et tout ça, rien que pour moi, j’ai su que j’avais bien fait de le sortir du mitard, le Père Noël, et qu’il avait pas oublié de me gâter en retour. 

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Commentaires
J
Oui la gouaille, c'est le mot qui colle ici.<br /> J'adore comment ton perso s'exprime... et le coup des rennes en greve... bien vu!!<br /> Super, comme d'hab ;)
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K
Quel talent ! C'est formidable.
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P
Super, bravo ;-)
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P
Est-ce que vous aussi Poupoune devez consommer autant de boissons alcooliques que votre héros pour parvenir à peindre cette atmosphère où vous avez la gouaille naturelle ?<br /> <br /> J'aime bien votre aventure, il n'y a que des gentils dans votre monde !
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T
Ah, cette gouaille des banlieues ;-))<br /> Super chouette texte !!!
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W
Un bienfait n'est jamais perdu.<br /> Bon, c'est pas de tout ça, je vais programmer ma tournée des commissariats pour Noël, on ne sait jamais...
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J
Ma Poupoune, où t'as appris à jacter comme un loubard, c'est super, super pro, c't' narration !<br /> Excellentissime, encore une fois.
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B
Très drôle ! Exact un vrai feuilleton à suivre..
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J
Excellent et jubilatoire, comme à l'habitude. J'ai adoré "...certains buvaient même à domicile autour d’une dinde, ou deux pour ceux qu’étaient marié..."<br /> et j'ai bien cru que tu allais nous pondre un Père Noël arrêté pour exhibitionnisme !
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V
Oh Poupoune c'est excellent! <br /> J'adore ce feuilleton dans lequel on rencontre un personnage chaque samedi. ça me plait :).<br /> Bravo! Bravo!
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T
Oh oh! Les rennes en grève... Ca me rappelle quelque chose...<br /> Ton texte est rempli d'humour... j'apprécie!
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