Toutes proportions gardées (Joe Krapov)
Isaure a posé son antique magnétophone à cassettes devant le patriarche à barbe blanche. Elle a enfoncé les deux touches, sorti un carnet à spirales, un crayon et posé une photocopie de recette de cuisine à côté du livre de ce « Monsieur Max » dont le titre est : « … et je t’emmerde, petit con ! ».
- Votre roman s’inscrit dans le mouvement de
l’autofiction, non ? »
- Sauf que tout est vrai. D’Hun, j’ai réellement connu 406 Attila. Je
lui ai conseillé d’utiliser le feu pour faire cuire sa viande mais ce barbare
n’a jamais voulu passer au régime sans selle. Résultat il est tombé sur une
vache folle, viande avariée, septicémie galopante plus rapide que le cheval, il
est tombé raide mort, ce petit con ! C’est bien fait ! Il n’avait
qu’à m’écouter ! De deux… »
Ingrédients d’un fondant à l'orange pour 4
personnes :
1 grosse
orange juteuse ; 120 g. de beurre + 1 noix pour beurrer le moule ; 2
œufs ; 120 g. de sucre en poudre ; 120 g. de farine ; 1 cuillère
à dessert rase de levure chimique
Pour le
glaçage: 1 orange juteuse ; 160 g. de sucre glace
-… -771 Rémus et Romulus ! C’est moi qui leur ai amené la louve qui les a nourris. Sans moi, pas de forum, pas de vraie Rome, pas de Cinecitta et pas de 1920 Fellini Roma ! Je leur avais bien dit pourtant de se méfier de celui de leurs descendants qui franchirait le Rubicon ! Ils m’ont répondu : « Papy, on ne peut empêcher personne de carburer au gros rouge ! ». Quelles taches, ces deux-là ! Le déclin de l’Empire romain, après, je ne vous raconte pas ! Si on m’avait écouté, mais non ! A l’époque, ils étaient tous rendus au forum à faire des commentaires sur tout et n’importe quoi. Comme aujourd’hui, du reste ! Quels petits cons, quand j’y repense. De trois… »
Râpez le zeste d’une orange avant d’en extraire le jus.
Allumez le four thermostat 6 (environ 200°).
Plongez une terrine quelques minutes dans de l’eau très
chaude.
Coupez 120 g. de beurre en petits morceaux.
Essuyez la terrine et mettez-y le beurre puis 120 g. de
sucre et travaillez longuement le mélange jusqu'à obtenir une sorte de crème.
Incorporez à cette crème 2 oeufs entiers, un par un, sans
cesser de remuer.
Ajoutez ensuite les 120 g. de farine, le zeste de
l'orange finement râpé et, enfin, son jus.
Terminez en incorporant une cuillère à dessert de levure.
Beurrez un moule à manqué (carré de préférence).
Versez-y la préparation et glissez-le dans le four pour
environ 35 minutes.
- La guerre de Troie, j'ai tout fait pour
qu'elle n'ait pas lieu mais n'hélas... »
- …On ne vous a pas écouté !. Les
histoires de poire Belle Hélène, ca ne va pas trop intéresser les lectrices du
« Défi du samedi ». Vous pourriez avancer un peu plus vite dans la
chronologie ? »
- 800, ça vous va ? C’est comme ce sacré
Charlemagne ! Il avait raflé la mise, lui, reconstitué l’empire à son
profit. Je lui ai dit de se méfier de ses petits-fils. Au lieu de cela,
monsieur se plantait des fleurs dans la barbe et écoutait de la musique pope !
Le Flower Power avant l’heure ! Il aurait pu vivre sur un grand pied comme
sa mère, mais non, débranche tout ! Limite pédophile, le mec, à distribuer
des cachous, des sucettes à l’anis et des poupées de cire aux petites filles à
la sortie des écoles. Bref, comme disait 715 Pépin, en 843, ce fut
Verdun ! »
Pendant la cuisson du gâteau, préparez le glaçage : pressez l'orange, mettez les 160 g. de sucre glace dans un bol et versez le jus peu à peu en remuant de façon à obtenir une crème coulante mais assez épaisse. Dès qu'il est cuit, démoulez le gâteau et arrosez-le immédiatement avec la moitié du glaçage. Cette opération va le rendre moelleux. Lorsque le gâteau est totalement refroidi, étalez le reste de glaçage qui, cette fois-ci, va rester en surface et lui donner son aspect «glacé».
- Vous n’avez rien de plus glamour, de plus
« people » que ces règlements de comptes entre politiques pour nos
lectrices ? »
- Vous voulez que je vous raconte les débuts
de 1492 Line Renaud à la cour d’Anchois Pommier ? »
- Vous voulez dire 1494 François
Premier ? »
- C’est le même ! Les surnoms étaient à
la mode à l’époque. Elle n’a pas fait long feu la Marie-Line en 1515 !
Marie Gnangnan on l’a appelée, elle, à cause de sa chanson sur le petit chien
dans la vitrine ! Je lui ai conseillé d’attendre jusqu’au 20e
siècle. Elle m’a écouté, elle au moins, la demoiselle from Avant-hier ! »
- Pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour
publier vos carnets à spirales ? Vous avez été le conseiller secret de
tous les grands de ce monde… »
- Les grands ? Des nains, oui ! Regardez
1769 Napoléon ! Toujours les yeux plus grand que le ventre ! Il
roulait en Volvo Marengo, il est allé faire le plein de Benrézina en
Russie, il n’a pas surveillé le niveau de son Waterloo, résultat il a coulé une
bielle à Sainte-Hélène ! Ils m’énervent tous, ces petits cons, à pas
m’entendre ! Du coup j’ai décidé de prendre ma retraite. Ca fait quand même
5000 ans que je cotise, il est temps de laisser la place aux jeunes ! Et
comme ce genre de ragots ça marche bien en librairie, j’essaie d’arrondir mes
fins de mois. Mais je le vois bien que personne ne m’écoute plus. Même vous,
depuis le début, vous recopiez votre recette ! »
- Plus personne n’écoute plus personne de nos
jours. We are whistling in the dark ! »
- Pissing in the wind, oui ! Vous savez
que le premier homme à avoir pissé dans un violon, c’était 1737
Stradivarius ? »
- Eh oui, c’est fou ! Victime d’un
diurétique, peut-être ? »
- Il était en pleine crise de 1782
paganinisme, comme cette société ! »
- Le secret de votre longévité c’est
quoi ? »
- Comme 1874 Churchill. Le sport. Jamais de
sport ! Et vous, mademoiselle Chassériau, comment se fait-il que vous
soyez née en 1818, portraiturée par votre oncle pour obtenir un prix au Salon
de 1838, que vous reparaissiez en 1966 pour diriger l’Agence de Flânerie
Amoureuse de Rennes, puis vous quittez votre tableau du Musée des Beaux-Arts en
1999 et on vous retrouve journaliste au « Défi du samedi » en
2008 ? Sans compter que je vous ai déjà vue à Alexandrie où vous avez aidé
à la rencontre de Cléopâtre de 5 à 7 avec ce pitre de César, que vous avez été
demoiselle de compagnie de Catherine de Médicis et que vous nous avez joué un
tour de Cauchon à Rouen en 1431 en nous subtilisant Jeanne d’Arc ? C’est
quoi, le secret de votre jeunesse éternelle, à vous ? »
Isaure appuie sur la touche « stop »
du magnéto et range son matériel dans sa sacoche.
- Quand on aime, on a toujours vingt
ans ! »
- Tss ! Tss ! On me l’a déjà sortie,
celle-là. Je n’y crois pas ! »
- Le secret, c’est de partager la recette du
fondant à l’orange avec le maximum de gourmandes de connaissance, monsieur
Mathusalem ! Maintenant qu’on est « off the record », vous
pouvez m’expliquer pourquoi vous êtes aussi aigri ? »
- Mon petit-fils -2970 Noé m’a beaucoup déçu.
Son côté 1710 Louis XV, « après moi le déluge » ! Vous trouvez
normal, vous, qu’il ait embarqué les moustiques du chikungunya dans son arche et pas son grand père ? Les jeunes sont
en train de perdre le sens de la famille ! Mais allez, je me suis bien
vengé quand je l’ai fait engager par Coca-Cola ! Vous ne trouvez pas
qu’il a l’air ridicule avec son costume rouge, son pompon blanc, son traineau
tiré par des rennes et sa tournée des popotes du 24 décembre pour laquelle il
doit bosser plus toute l’année pour gagner moins que rien tandis que je me la
coule douce désormais ? »
- Ca se
discute. Tout peut se discuter de nos jours. »
***
- Allez, mon
Bijou ! Si tu découpes suivant les pointillés, tu récupères la recette de ce
gâteau succulent !. Tu vas bien nous trouver deux pages de pub à mettre au
verso ? Comme dit Iowagirl, « quand on aime, on ne compte pas » !
Reprends en une part de ce fondant ! »
Mais, de
fait, le plat est déjà vide. Toutes proportions gardées, en voilà un qui n’a
pas fait long feu !