Dans l’aven d’Edgar Poe (Tiphaine)
Il progresse lentement, sa lampe à huile faiblit, il a peur. Il se dit qu’il aurait dû au moins informer quelqu’un, n’importe qui mais quelqu’un. S’il ne trouve pas le moyen de sortir de là, personne ne songera à le rechercher.
Il progresse lentement et sa vie se déroule devant ses yeux qui luttent contre le sommeil. Le sourire de sa mère avant que la tuberculose ne l’emporte se dessine dans le noir, la bouteille de son père trône sur la table en bois, le rire de Rosalie, un rire de démente, l’odeur du tabac de la maison de Liverpool, les salles de jeu enfumées, et toutes ces femmes qu’il a aimées, si mal aimées…
Il se souvient qu’il a aimé, il se souvient qu’il a vécu. Avant. Quand le jour était le jour. Avant la longue nuit.
Il ne sait plus depuis combien de temps il rampe ainsi dans le noir. Il aurait dû au moins prévenir, peut-être qu’il aurait manqué à quelqu’un, quelque part…
Il a quitté son misérable appartement, laissé les clefs à la concierge en lui disant adieu, un petit sac sur le dos. Il aurait dû lui dire qu’il reviendrait, peut-être qu’elle se serait inquiétée…
Il croit qu’il a quitté la ville, il sait qu’il a marché longtemps jusqu’au gouffre. La neige peut-être autour de lui, ses traces de pas qui s’effacent petit à petit. Il est descendu jusqu’à l’entrée du tunnel. Il faisait bon, le froid ne le mordait plus, il se sentait bien.
C’est là qu’il a commencé à ramper, il voulait savoir jusqu’où il pouvait aller.
Il ne sait plus depuis combien de temps il erre sous la terre mais il sait que sa vie lui revient à mesure qu’elle semble s’en aller. Il lit sur les parois autour de lui l’histoire d’un homme qui était peut-être bien lui, avant. Quand le jour était le jour. Avant la longue nuit.
Il entend soudain comme une voix. Comme un chuchotement.
Se peut-il qu’il ne soit plus seul enfin ?
Des mots à son oreille, comme une litanie.
« Par ici… Par ici… Par ici… »
Il s’approche, la vie enfin est là, il le sait, il le sent.
Un petit passage, juste assez large pour lui, une cheminée. Il glisse.
Il se retrouve dans une immense salle, autour de lui une forêt de pierres qui montent du sol et descendent du plafond dans un enfer de gouttes d’eau.
Il n’a jamais rien vu d’aussi beau.
Sur les parois, d’étranges animaux sont représentés. Un scarabée d’or, un corbeau, un canard avec un ballon et un chat noir qui semble lui sourire.
Sa lampe s’éteint.
Ses yeux s’ouvrent enfin.
Juste le temps d’un Eurêka, juste le temps de révéler son cœur.
Sur un trottoir de Baltimore, près de Light Street, on retrouve le corps d’Edgar.
Juste le corps.