L'ilot de l'âme - Aude
Nous sommes sur une petite île de Normandie, une petite île isolée, battue par les vents, fouettée par la pluie et trop rarement caressée par le soleil. Une île ? Plutôt un grand rocher où on aurait posé un château fort à l’air moyenâgeux. Un château fort qui fut repaire de corsaires, pirates et autres brigands. Cette île est si petite que les jours où soleil et pluie s’emmêlent, un arc en ciel passe comme un pont au-dessus, ses deux pieds retombant dans la mer. Il n’y a plus guère d’habitants sur cette île où rien ne pousse excepté le sable et les rochers. Reste le gardien du phare et le couple qui s’occupe du château transformé en chambres d’hôtes pour touristes en mal de grand-air et solitude.
J’arrive sur cette île un 1er novembre. Le temps est triste et maussade, il me rappelle ma femme que je cherchais à oublier justement. Depuis le bateau qui m’emmène j’aperçois un rocher isolé et sombre caché derrière le crachin et la brume qui tombent. Je me demande si c’est déjà l’île.
- Non me répond le Capitaine, ça c’est l’ilot de l’âme.
- L’ilot de l’âme, c’est joli. D’où vient ce nom ?
Le capitaine hausse les épaules.
- Oh vous savez, je suis breton. Les histoires de ces normands je m’en fous.
Plus tard, j’interrogerai la dame qui s‘occupe des chambres au château. Ses yeux se révulsent, son visage se ferme. J’ai beau insister, je n’en tire rien.
J’enfile un des nombreux cirés ainsi que des bottes laissés à la disposition des touristes. La bruine me pénètre les os. La nuit commence à tomber, je ne suis même pas certain que le jour se soit levé aujourd’hui. Le brouillard est si dense que c’est arrivé à son pied que j’aperçois le phare. Je lève la tête vers la mer et je suis surpris de voir l’ilot de l’âme comme nappé d’un halo parmi les embruns. Il me parait encore plus solitaire et étrange. C’est comme si une force m’attirait vers lui. Puisque je suis au pied du phare, je décide de le visiter. Je frappe la porte à l’aide du heurtoir. J’attends un long moment avant qu’un grincement ouvre la porte. Un vieil homme se tient devant moi. Il est sympathique mais peu loquace. Il me plait bien. Je le suis dans l’étroit escalier de bois en colimaçon. De là haut, c’est encore l’ilot que j’aperçois. Rien d’autre, pas de lumières de bateau, pas de vague, pas même une mouette. J’interroge le gardien. Sa voix devient tremblante quand il me répond :
- Si vous saviez tout ce que je vois la nuit.
- Je voudrais savoir justement.
- Ici les gens n’aiment pas en parler. Ils racontent que ça porte malheur.
- Mais on a bien du vous le raconter à vous.
- J’avais déjà vu…
C’est à ce moment que je la vois sur l’ilot : une frêle silhouette blanche, aérienne, devrais-je dire irréelle ? Le vieil homme aussi l’a vu. Il raconte :
- Elle était la fille du châtelain, une bien jolie fille.
- Que lui est-il arrivé ?
- Elle est tombée amoureuse de l’un des nombreux pirates qui trainaient ici, peut-être le pire de tous. Il était cruel et dur, l’âme noire. Il ne pensait qu’à la détrousser.
- A la trousser aussi, j’espère.
Je regrette déjà mon mauvais jeu de mots. La jeune femme semble toujours voler sur l’ilot.
- Il la rendit si malheureuse, qu’elle jeta son corps et son âme à l’eau. C’est à cet endroit qu’on retrouva son corps. Son père fou de douleur tua le pirate et extirpa de son corps encore chaud son cœur de pierre qu’il jeta à la mer. On raconte que le cœur de pierre est cet ilot et que l’âme de la jeune femme ne le quitte plus depuis.
- Mai pourquoi personne ne veut raconter cette histoire ?
- Parce que presque tous ceux qui connaissent l’histoire et qui ont aperçu le fantôme finissent par jeter leur âme à la mer.
Je regarde la jeune femme sur l’ilot qui m’appelle.