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Le défi du samedi
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18 octobre 2008

Cet été-là (Caro_carito)

Ce film, je suis sûr que ce film est la cause de tout. Je n’ai qu’à m’en prendre à moi-même. J’aurais dû dormir. Le dimanche soir, les enfants sont censés aller au lit à 20h. Même à douze ans et même s’ils ne rêvent qu’à être grands. Au lieu de cela, je m’étais glissé derrière le fauteuil où somnolait ma mère. J’ai oublié le nom du film et une bonne moitié de l’intrigue. Mais en partie seulement. Est resté gravée une atmosphère de légèreté, une faculté à regarder les femmes différemment, leur démarche gracieuse, cette coquetterie touchante

Ou alors, Ces tableaux chez mon grand-père, des femmes nus. Des peintres viennois, me disait-il fièrement. Et dans ce tourbillon de cuisses et de sexes crayonnés au fusain et à l’encre, il ne pouvait s’empêcher d’ajouter que sa mère - oui, sa mère - avait été modèle. Et de grands peintres fascinés par sa croupe ivoire et ses cuisses graciles. Elle était de Prague ou de pas très loin. C’est plus tard que je pris le temps de vérifier un à un les fanfaronnades de l’illustre aïeul qui avait fait prospérer l’usine familiale de broderies sur vestes et autres frivolités, avant de tout dilapider en caprices et investissements farfelus. Mais ceci est une autre histoire.

Il avait aussi conservé, le pauvre bougre, une immense bibliothèque de livres aux estampes colorées où j’aimais plonger mes regards. Ainsi Baudelaire, Baudelaire et ses femmes aux parfums étranges. Des livres d’auteurs reconnus, Apollinaire, Sade, dont les gravures étaient suffisamment explicites pour m’expliquer les passages obscurs qu’un bon gros dictionnaire

J’en étais toutefois aux prémisses ; ce qui décida de ma folie, de ma passion, ce fut ce qui arriva cet été-là. Ma mère souffrait d’une énième crise et la maison était sans dessus-dessous. Mon père qui ne supportait plus son épouse, ses maladies à répétitions, ses plaintes et ses refus de se soigner, avait pris la tangente. Deux de mes frères étaient partis chez ma tante. Ne me restaient sur les bras que les jumeaux Marion et Lucas avec leur premier anniversaire juste passé. Je n’avais pas le choix, il me fallait jouer l’homme de la maison. En tout cas c’est ce que m’intima  le regard sans concession de ma mère en me mettant un sac de provision rempli de livres à rendre à la bibliothèque dans les mains et en refermant la porte sur ma pauvre personne.

Je passais donc en premier chez Valérie, la bibliothécaire. On murmurait dans le quartier que c’était une vieille fille. Terme obscur car elle n’avait pas trente ans et sa voix douce m’enchantait. On disait encore plus bas qu’elle avait des amants, ce qui m’étonnait. Comment cette créature si mince dont le public était composé de grands-mères, de femmes en mal d’amour et d’enfants aurait pu rencontrer un homme. Je lui tendis la pile de livres empruntés. Valérie, remarquant mes traits soucieux, me pris à part dans son bureau. Ses yeux gris m’observaient et je lui dévidais toute l’histoire en essayant de maîtriser ma voix tremblante. Sa main légère se posa sur mon épaule. Elle me conseilla de passer vers 10h chez Bella la charcutière, elle aurait sans doute du travail pour moi. Quant aux livres, inutiles de dépenser quelques centimes pour régler les retards récurrents, il me suffisait de passer chez elle le soir, vers 18h, elle m’en prêterait avec plaisir. Sa main fine inscrivit en lettres soigneuses son adresse et la glissa dans ma main. Elle caressa ma joue. « Brave petit »  murmura-telle tandis que ses yeux gris pétillaient.

Je passai donc chez Bella. Son magasin était désert et c’est avec un grand sourire qu’elle m’accueillit. Bien sûr, elle avait du travail pour moi et, après avoir retourné la petite pancarte de l’entrée, elle m’amena dans les bâtiments qui donnaient sur l’arrière- cour. Je pourrais l’aider pour trimballer les livraisons qui arrivaient le matin à l’heure où son ivrogne de mari cuvait encore. Elle tâta ma musculature, la mine gourmande. Et je reviendrai vers 13h à la pause pour manger un morceau et l’aider avec les factures. J’acquiesçai. Le marché se conclut tandis que son visage au teint si frais  rosit de contentement. Elle me donna d’autres noms, Nelly, la pâtissière, Milène, l’artiste, qui cherchait un modèle, Clara, la vendeuse au grand magasin et Charlotte l’infirmière qui s’occupait de Mme Henri au 26.

La journée s’acheva rapidement. Je rejoignis Valérie qui m’avait préparé un ou deux livres pour ma mère et attendait le bref résumé de mes avancées côté travail. D’ailleurs, pour une fois, mon cabas était chargé de provisions. Il me fallait rentrer, les jérémiades de ma mère et les pleurs des enfants m’attendaient. Elle m’embrassa près de l’oreille et me glissant un livre dont la couverture était recouvert de papier kraft. « Pour toi ».

Le cœur débordant de joie, je décidai  de m’octroyer une pause. Je m’assis à une terrasse pour siroter une limonade. J’étais heureux, mes bienfaitrices défilaient devant mes yeux. Ah Bella, j’aimais ses cheveux soigneusement rangés sous le petit bonnet blanc. Et ses bras ronds que laissait entrevoir sa blouse. Mais je la préférais au bureau quand elle ne portait que ce chemisier de cotonnade légère qui semblait retenir avec peine sa poitrine. Sa jupe blanche laissait deviner à contre-jour ses jambes charnues. Un autre visage se présentait à moi quand ma voisine de table m’interrompit. Elle se présenta sèchement Anne-Sophie, étudiante. Hier encore, je l’eus remarqué mais là, non. Plate, un air maussade, la voix boudeuse. Elle s’installa à ma table sans avoir été invitée et, après quelque phrases échangées, insista pour je vienne chez elle en fin de semaine. Tout à mon bonheur tout neuf d’être tiré des ennuis, j’acceptai.

Les jours suivants se passèrent sans encombre. J’observai à la dérobée mes employeuses. Je détaillai leurs formes, je les comparais. Elles avaient chacune leurs particularité mais si… il m’aurait été impossible d’en préférer l’une à l’autre.

Je venais d’achever mon sandwich quand je rejoignis Bella pour quelques vérifications administratives. Il faisait chaud ce jour-là. Je remarquai qu’un bouton de la robe était dégrafé laissant entrevoir un carré de peau luisante et un peu de dentelle blanche. Dans un sourire, Bella me demanda de ramener un torchon imbibé d’eau. J’obtempérai. Elle me pria de tamponner la peau de son cou, elle dégagea ses épaules et… Je me retrouvais sur le sofa à rafraîchir ses bras, ses seins, son ventre. Dieu qu’elle était belle est appétissante. Je ne savais où donnait de la tête. Son sourire aux petites dents nacrées semblait vouloir me mordre. Ce qu’elle s’empressa de faire. Sa peau avait la fraîcheur du printemps. Elle me dévorait de baisers, sa bouche gourmande qui me dégustait petit à petit. C’est ainsi que j’appris entre les factures  à être moins gauche et timide dans les bras duveteux de ma Bella.

Elles s’étaient toutes donné le mot, mes employeuses,  et je me perdis entre leurs draps le temps d’un été. Milène aux odeurs de peinture et de glaise. Ses doigts rêches me brûlaient. Quant à Valérie, elle attendit que je finisse mon livre pour me demander de lui en faire un résumé. Je le fis, rougissant, en buvant le thé qu’elle m’avait servi. Elle ôta ses lunettes, laissa couler ses longs cheveux jusqu’au bas de son dos et se déshabilla. Je fis de même et, ainsi, elle me démontra que je pouvais découvrir un sens scellé des mots en suivant les courbes de son corps. Je connus aussi Charlotte l’infirmière aux élans emportés et Anne-Sophie, l’étudiante,  qui épuisa toutes mes techniques.

L’été passa très vite. J’oubliais l’enfer chez moi en découvrant à quel point une femme pouvait me rafraîchir de sa langue ou m’envoyer en enfer. Pourtant, il y eut ce jour précis où je sus que leur souvenir ne me quitterait jamais. L’ombre des persiennes découpait des énigmes sur la croupe de Valérie. Je posais ma joue dans le creux de son dos. Elle se tourna légèrement et je chatouillais la naissance de son ventre, à l’orée de son sexe quand je sentis comme une onde la parcourir. Pas de plaisir, une vague de tendresse toute en retenue. Et je lus sur les traits de son visage, sur ses lèvres légèrement entrouvertes, cet abandon qui l’avait gagné toute entière. Chacune à sa façon me laissa simple spectateur de ce moment où une femme baisse les armes, où aucune tension ne subsiste ni dans leur corps et dans leurs pensées.

Mon père revint, nous déménageâmes en septembre et je ne les revis plus. Pourtant, quand je retrouve  cette allure alanguie, cet instant secret auprès d’une autre femme, je les revois toutes. Clara, Bella la gourmande, Milène et même Anne-Sophie l’égoïste. Allongées contre moi, leurs yeux m’observent et se détachent ensuite, m’autorisant à être spectateur de leur secret.

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Commentaires
S
Cet été que tu nous donnes à partager est magnifique Cara_carito.<br /> <br /> Quelle délicatesse et quelle volupté, quel plaisir prend ta plume à soulever un à un les voiles de ces souvenirs, ces premiers émois... <br /> Effeuillage de ces couches mi transparentes mi opaques qui superposent en l'espace d'un instant les coquetteries d'un film à la dérobée, les tableaux suggestifs du grand-père, les estampes explicites de la bibliothèque, "le carré de peau luisante", les rencontres amoureuses et mutines d'un été qu'on ne peut départir, jusqu'à la découverte intime de cette énigme, de cette frontière où l'intimité se révèle enfin.<br /> <br /> Beaucoup de justesse sur cette intimité de la femme mais aussi, en définitif, sur le désir, le regard de l'homme qui cherche à déchiffrer ce mystère.
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M
Une éducation plurielle toute en finesse !
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G
Un rêve d'adolescent... <br /> Quelle belle école...<br /> Je VEUX redevenir adolescent!!!!!<br /> ....... ouvrons la fenêtre.........<br /> Comment dormir sereinement après une telle lecture!!?? <br /> Je vais proposer que chaque récit soit précédé d'un avertissement quant au degré et au type d'émotion qu'il est susceptible de provoquer. <br /> Bon, il es formidable ce texte là!! Quelle belle écriture! Quant à l'inspiration...proprement démoniaque....<br /> Encore une nuit sans sommeille... merci bien Caro....
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K
Quelle belle atmosphère...Etrange impression d'être plongé dans un temps sans temps au charme délicat.
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J
Au village, sans prétention, il n'a pas mauvaise réputation ! C'est sans doute dû aux gènes du grand-père ? Ou bien aux professions de ces "Madame sans-gêne" ?;-))
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R
beaujour caro<br /> c'est beau<br /> tendre, chaud !!!<br /> quelle maitrise des mots<br /> <br /> je pense que beaucoup aimeraient être à la place de ce jeune homme...
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J
Une belle éducation sentimentale...
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S
Pas de manque non, plutôt la sensualité douce des femmes, passionnée aussi ... que tes mots exaltent ... Ouverture d'esprit, érotisme subtil, tes mots sont savoureux ...J'ai adoré ce texte plein de chaleur, de vie, de printemps ... On a envie de s'abandonner à la douceur féminine ...
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T
La gourmande aime beaucoup...
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C
madame C a raison, je pense pas de manque.<br /> <br /> Ah Val tu le veux plus long tu l'auras demain. :o) J'ai coupé un bout de ce texte.<br /> <br /> et merci.
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A
j'aime beaucoup !
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B
J'ai beaucoup aimé ce texte que j'ai goûté jusqu'à la dernière ligne. Bravo.
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M
Bonjour,<br /> <br /> Non, je ne pense pas comme dit l' une d ' entre vous que ces femmes soient en manque ....<br /> C' est tout simplement un moment que l' on ne pensait probablement ne pas pouvoir passer, on se disait non, pas moi ... mais qui vient, naturellement.
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T
Une belle et tendre escapade.... fait chaud tout d'un coup, vous trouvez pas?
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W
Je dois être né à un mauvais endroit de ce monde... me reste à me faire bouddhiste et à réessayer dans ma prochaine réincarnation...
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V
Caro je suis conquise!<br /> Le texte est pourtant relativement long, mais, à la dernière ligne, on en voudrait encore! <br /> Bravo.
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J
Merci Caro, pour cette cueillette de serments...<br /> <br /> ;-)<br /> <br /> Si c'est comme ça qu'on écrit lorsqu'on est à la bourre, je vais devoir prendre un autre boulot. Voire deux ou trois.<br /> <br /> Bravo, toi, pour ce joli conte.
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T
L'école du plaisir... drôlement bien décrite!
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J
Quelles decriptions! on s'y croirait... lecteurs voyeurs ;)
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P
Une éducation sentimentale toute empreinte de douceur, comment rêver mieux pour vos fils ?<br /> <br /> Je retrouve de nouveau votre peinture des journées estivales et je crois bien que je voudrais m'assoir à la terrasse d'un café et siroter une limonade. Je vois même la condensation perler au long du verre.<br /> Vous avez un fort pouvoir évocateur que je vous envie, Caro.
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P
Je pense qu'il doit y avoir quelque chose dans l'eau du village pour que ces femmes soient à ce point... comment dire...en manque ?<br /> Jolies descriptions en tout cas
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T
Je passe sur la pointe des pieds alors... le spectacle est si beau...
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