Fin du défi de Aude (Poupoune)
Gerry Henrard,
l’inspecteur le plus sexy de l’ouest et bien au-delà encore était bien ennuyé.
Il lui avait été dérobé la sculpture qui trônait sur son bureau depuis de
nombreuses années. Il aurait d’autant plus de mal à la retrouver que pour se
concentrer il avait la réconfortante habitude de la contempler, voire la
caresser distraitement. Et à chaque fois, ça ne manquait jamais, la solution de
l’énigme s’imposait à lui, évidente. Il bouclait alors son enquête en quelques
heures.
C’était une sculpture
assez particulière que lui avait offerte un ami sculpteur : Philippe Mordevol.
Elle représentait un sexe de femme. Tous ne s’en apercevaient pas au premier
coup d’œil, mais parfois un regard un peu plus attentif se transformait en
regard pour le moins surpris quand les personnes présentes dans le bureau de
Gerry Henrard s’apercevaient de la forme originale voire originelle de la
sculpture. Il était toutefois fort heureux que Gerry ne travaille pas à la
brigade des mœurs. Le supérieur de Gerry, le commissaire Clandus ne s’était
jamais aperçu de rien. Il croyait encore qu’il s’agissait d’un moulage raté
réalisé pour la fête des pères par le fils de Gerry.
Gerry aurait pu demander
à Moredevol de lui en vendre une autre mais il attribuait à sa sculpture des
pouvoirs magiques.
Il n’avait aucun indice.
Les personnes habituelles avaient eu accès à son bureau : ses collègues, son
chef et la femme de ménage en qui il avait toute confiance.
***
Il faut retrouver la sculpture de Gerry Henrard !
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Mais qui donc a bien pu voler à Gerry Henrard,
l’inspecteur le plus sexy de l’ouest et bien au-delà encore, sa vaginale
statuette, réalisée par son ami Philippe Mordevol et objet d’inspiration et de
superstition auquel l’inspecteur attribue des vertus surréalistes mais pour le
moins rassurantes ?
Tout le monde la trouvait moche ou de mauvais goût, sa sculpture, voire les deux… alors ça ne pouvait être que pour lui nuire et nuire à son travail qu’on la lui avait volée… Mais qui ?
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Parmi ses collègues, certes, les blagues allaient bon train : « Alors Gerry, on suit la piste d’une chatte sous un doigt brûlant ? » ou encore : « Pour le jour et l’heure du décès, tu crois qu’on a le choix dans la date ? », mais tout ça était plutôt bon enfant, jamais vraiment méchant…
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Et puis il aurait sans hésiter confié sa vie à chacun d’entre eux et tous avaient en lui une confiance tout aussi aveugle alors oui, vraiment, ses collègues étaient au-dessus de tout soupçon.
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Le jour de la disparition de la sulfureuse
statuette son chef, le commissaire Clandus, était tout affairé parce que sa
femme et son fils venaient le chercher pour partir en vacances : il
voulait à tout prix éviter que le gamin ne tombe nez à nez avec une racoleuse dénudée
ou un dealer édenté… Alors il avait eu d’autres chats à fouetter… et de toute
façon, c’était pas le genre du patron.
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Quant à Elena, la femme de ménage… Pauvre Elena… Déjà rouge de colère et de honte mêlées quand elle crut que Monsieur l’inspecteur la soupçonnait, alors qu’il ne cherchait qu’à reconstituer les dernières vingt-quatre heures de sa sculpturale égérie, elle vira vite carrément cramoisie : chaque jour, méticuleusement, elle prenait, époussetait et soigneusement reposait l’anodine babiole, alors elle réagit à grands cris - « rézousse ! » « Maria ! » - en apprenant ce qu’était réellement l’objet dérobé… Elle se signa, quitta précipitamment le bureau et refusa de revenir y faire le ménage.
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Gerry la soupçonnait néanmoins d’être revenue
quand il trouva une chouette clouée sur sa porte… Mais il n’était pas beaucoup
plus avancé.
Il chercha un palliatif et essaya de se concentrer sur son presse-papier boule à neige, en le frottant distraitement d’un doigt nerveux, mais l’inspiration ne vint pas et l’énigme de sa sensuelle statuette lui paraissait toujours aussi obscure et insoluble.
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A moins que… Le voleur avait peut-être opéré
pour un commanditaire ? Que ne ferait-on pas pour de l’argent… ? Bien
sûr cette idée là ne lui plaisait guère, mais il lui fallait bien reconnaître
qu’elle tenait la route : Mordevol.
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La nature de ses œuvres et ses liens parfois nébuleux avec certaines affaires sordides lui valaient de tenir une bonne place dans les fichiers des mœurs… Certes il n’avait été suspecté dans aucune affaire dont s’était occupé Gerry Henrard et il n’était connu à la crim’ que pour son amitié avec l’inspecteur, mais c’était quand même dans le cadre d’une enquête conjointe avec les mœurs que les deux hommes s’étaient rencontrés…
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Serait-il possible alors que le ténébreux
artiste ait osé abuser l’inspecteur ? Lui aurait-il offert cette sculpture
pour la soustraire à l’attention des enquêteurs dans le cadre d’une affaire
l’incriminant ? S’agissait-il d’un élément à charge que Gerry aurait
malgré lui caché aux autorités, évitant ainsi à son ami d’être inquiété ?
Gerry Henrard, l’inspecteur le plus sexy de l’ouest et bien au-delà encore,
aurait-il été, à son insu, le complice d’un crime ?
L’inspecteur désabusé en était là de ses
laborieuses et poussives réflexions, en proie au doute et à la perplexité,
quand son supérieur, de retour de vacances, passa la tête à sa porte et
lança :
- Ah !
Henrard, faudra me faire penser à vous rendre votre machin, là. Il ressemblait
à un truc qu’avait bricolé mon fils pour Noël : je lui avais dit que je
l’avais pris pour décorer mon bureau et comme le gamin est passé l’autre jour,
je vous ai piqué le vôtre pour qu’y sache pas que j’avais bazardé le sien…
- … ?
- D’ailleurs,
c’est marrant, vous savez ce qu’il a dit ? « Papa, pourquoi t’as une
zézette sur ton bureau ? » Sans rire ! Ah les mômes, j’vous
jure !
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