Lendemain qui déchante (Poupoune)
C’est
forcément la pire gueule de bois de toute ma vie. Je ne me souviens pas avoir
bu, mais je ne vois pas bien ce que ça pourrait être d’autre...
Déjà,
je ne sais pas du tout où je suis. C’est pas chez moi, ça au moins, c’est sûr :
c’est grand, très grand, c’est luxueux, c’est tellement propre que c’en est
presque flippant… Bref : pas chez moi.
Et
puis je ne connais pas cette femme. Tout à fait mon genre, superbe :
rousse, sculpturale, poitrine généreuse… splendide. Exactement le genre de
femme que j’aurais pu draguer dans un bar et essayer de ramener chez moi… Sauf
que je ne suis pas chez moi. Et qu’une femme comme ça ne m’aurait jamais suivi.
Et qu’elle est morte.
Enfin :
je ne suis pas médecin, mais pour ce que j’en vois, elle n’a pas l’air bien
vaillante. Tellement pas que j’ai vomi copieusement à l’instant ou mon regard
s’est posé sur elle… ce qui m’a donné une idée de ce que j’ai mangé hier -
chinois apparemment - mais pour ce que ça m’avance…
Je
suis… quelque part, menotté – oui, menotté à une splendeur rousse et
apparemment morte, couvert de ce qui ne peut être que son sang et je n’ose pas
bouger. Si je bouge, je la déplace et, dans les films, ils disent toujours de
ne pas déplacer le corps avant… avant quoi ? L’arrivée de la police ?
Faudrait déjà que je l’appelle… or, donc, je ne suis pas chez moi, je ne sais
pas où est le téléphone et, franchement, je ne me vois pas traîner ma… la…
enfin : je ne me vois pas fouiller l’endroit en quête d’un téléphone avec
un cadavre attaché au poignet…
Mais
dans quelle merde est-ce que je me suis encore fourré ? Si seulement
j’arrivais à me rappeler… quelque chose. N’importe quoi.
La
dernière chose dont je me souviens, c’est que je me suis retrouvé en galère
après une arnaque foireuse... alors j’ai tiré un portefeuille à un touriste et
puis je suis allé chez Gégé : il prolonge un peu l’happy hour pour moi
quand il sait que je suis pas en fonds… Après… ben je voulais juste une soirée
classique : boire des coups et finir comme un con bourré en boite, à me
faire éconduire par des nanas même pas jolies qui, elles, par contre, auraient
dû boire un peu plus… Sauf que je ne me souviens plus de rien après mon dernier
verre chez Gégé… Je me revois sortir de son rade, tout seul, ça, j’en suis
presque sûr, et… plus rien. Ce salon immense, cette femme, tout ce sang…
Oh
la la, mais quelle merde !
Bon.
Rester calme. Respirer. Réfléchir.
Si
ça se trouve je la connais cette fille. C’est peut-être pas une vraie rousse,
peut-être une copine qui s’est teint les cheveux, peut-être… Faut que je la
regarde mieux.
Respirer…
Allez !
Non.
Définitivement, je ne connais pas cette créature. Dommage. J’espère au moins
que je me la suis tapée avant… avant quoi ? Oh merde ! J’espère que
je ne l’ai pas tuée ! Non... Non non non. C’est pas mon genre, ça. Moi je
vole, j’arnaque, je mens, mais je ne tue pas… Tiens : elle a un tatouage,
c’est joli… c’est quoi ? C’est… oh merde : je connais ce
dessin ! Où est-ce que j’ai déjà vu ça ? Une marque de bière ?
L’enseigne d’un troquet ? Un soleil, un couteau… ah merde, ça va pas me
revenir…
Bon.
De toute façon je peux pas rester là comme ça sans rien faire… Je vérifierais
bien si c’est une vraie rousse… Non : vu le sang sur le bout de drap qui
la recouvre, ça doit pas être joli dessous… Appeler. Merde, ça va ressembler à
quoi si quelqu’un me trouve comme ça ? Plein de sang, menotté à un cadavre
et… et ça c’est bizarre : qu’est-ce que je fous en guêpière léopard et
porte-jarretelles ?
Mais
quel merdier… Faudrait au moins que j’arrive à me détacher, pour pouvoir
téléphoner, m’habiller ou… ou me casser d’ici, en fait ! Tout simplement.
J’ai assez d’emmerdes comme ça… J’ai rien à voir avec tout ça moi ! Et
puis… oh merde ! On vient… oh non… la police, bien sûr… oh quelle merde…
Ne
rien dire, ne rien dire, ne rien dire, tout ce que je dirai sera retenu… ah,
tiens, ben au moins je vais voir si c’était une vraie rousse… oh merde, c’est
pas vrai : c’est un roux !