Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le défi du samedi
Visiteurs
Depuis la création 1 050 270
Derniers commentaires
Archives
9 août 2008

Abbey road. 9, L’horreur (Joe Krapov)


C’est si bon de se réconcilier ! De se réconcilier sur l’oreiller. De se réconcilier sur la plage de l’île Renote à Trégastel. Le soleil y darde ses rayons en ce jour béni du 13 juillet 1966, le temps est superbe et la plage est noire de monde. Un immense rocher en forme de dé à jouer est posé sur une pointe à gauche et y défie la mer comme un phare à l’entrée d’un port.

Ce n’est pas que Camille Cinq-Sens et son épouse Agathe étaient fâchés, du reste, mais au début de ces vacances, « l’oncle » Camille était en crise, saisi d’une envie soudaine d’envoyer paître tout et tout le monde, de changer de vie, de passer de son statut de patron du bistrot « Le Vieux saint-Etienne » situé dans une rue populaire de Rennes à celui de moine bénédictin à l’abbaye de Solesmes dans la Sarthe. Drôle d’idée !

Dans ce monde où tout est possible et où tout est réalisable évoluer professionnellement a toujours été très bien vu mais les engagements sentimentaux et surtout maritaux ne peuvent être balayés d’un revers de la main. Agathe avait fait tout ce qu’elle avait pu pour s’opposer au départ de son mari. C’est qu’elle l’aimait, son gros Camille, la jolie Colombienne !

Elle lui avait donc offert ces deux semaines de vacances en solitaire dans la maison de son amie Anita, absente, afin qu’il s’habituât à la vie monastique et se rendit compte effectivement de ce qu’était un séjour dans une île déserte. Bien sûr, avant même la fin des quinze jours, il l’avait appelée en catastrophe pour qu’elle revienne le chercher. Cette fine mouche d’Agata qu’on appelait « tante Agathe » en référence à une chanson de Rika Zaraï avait encore su y faire – les jolies femems ont toujours raison ! – et avait gagné le retour de l’enfant prodigue au bercail.

Avant de s’en retourner sur Rennes ils s’étaient offert une dernière sieste crapuleuse dans la masion d’Anita puis, après avoir tout fermé, ils avaient décidé de prendre un dernier bain de mer. Ils avaient choisi pour cela l’île Renote qui n’est en fait qu’une presqu’île bordée de rochers roses et de plages de sable fin.

- Camille, tu veux bien me passer de la crème solaire sur le dos ? »

- Bien sûr, mon amour ! »

Il pressa sur le tube de la main gauche et le petit bruit « ploutch » expulsa par un minuscule trou dans le couvercle orange une petite crotte de pommade blanche sur le bout de son index et de son majeur droits. Il appliqua l’écran total et songea à tout le cinéma qu’on se faisait autour de ça autrefois. C’était alors quasiment un prétexte à préliminaires amoureux et le jeune Jean-Paul Binoclard était tout émoustillé quand Simone Lecastor le sollicitait pour qu’il l’enduisît ainsi. Il ne manquait plus qu’une danse accordée au jeune bigleux – Binoclard portait bien son nom ! – le soir du bal aux lampions du 14 juillet pour qu’il sorte de son huis clos de limbes et se mette à regarder la vie d’un autre œil que celui d’un migraineux à nausées.

Puis passent les années, arrive l’âge de raison et alors les jeux sont faits : ce même petit geste, Camille en était bien conscient tout en massant le dos parfait de son Agathe, ne vous laissait plus que la sensation d’avoir les mains sales. Mais bon, sans doute les femmes étaient-elles ainsi faites qu’elles étaient moins « triste animal» après le « coïtum » et que ce petit geste postfacier semblait, elles, les emplir d’aise, comme si elles se rappelaient avec bonheur de ces préliminaires anciens.

C’est alors que l’horreur absolue se produisit. Sous le contact de la main droite de Camille qui tartinait largement et mollement la chair tout en se laissant aller à ses pensées existentialistes à deux balles, il n’y eut soudain plus rien. En un éclair de flash, le corps d’Agata avait disparu.

Mais ce n’était pas tout. Dans le moment du basculement, à part la mer et les rochers qui n’avaient pas changé, leurs plus proches voisins et tous les occupants de la plage s’étaient métamorphosés. Dans son champ de vision immédiat, la famille Duraton qui jouait à la pétanque avec des boules en bois avait été remplacée par deux jeunes filles aux seins nus qui se lançaient à tour de rôle un rond de plastique rose fluorescent. A sa droite un quadragénaire à cheveux frisés et lunettes d’écailles parlait dans un rectangle de plastique noir doté d’un écran de télé lumineux et minuscule.

- Allô ? Ici Schmutz ! T’es où là ? Oui, il faut vendre, mon vieux ! »

Un téléphone ? Sans fil ? Sur la plage ? Et à sa gauche, ce journal sur le visage de la dame allongée, ce n’était ni France-Soir, ni Paris-Jour, ni Ouest-France. C’était, d’après ce qu’il lisait, Direct Soir. Un titre dont il n’avait jamais entendu parler.

Il se leva, secoua sa serviette. Celle d’Agathe avait disparu en même temps que le corps superbe de la jolie Colombienne, ses vêtements et son sac itou. Avait-il eu un étourdissement ? S’était-il endormi ? Il lui semblait bien que non. Sa main n’avait plus rencontré soudain que le vide et il avait même failli en perdre l’équilibre.

Il commença à paniquer puis il se dit que ce n’était pas possible. Elle était forcément retournée se baigner ou avait dû aller chercher quelque chose dans la voiture. Il se rhabilla, ramassa le sac à dos auquel il devait ce fabuleux bronzage de randonneur – deux bandes verticales blanches de chaque côté de son poitrail rouge -, et, gardant ses sandales à la main à cause du sable, il parcourut toute la plage. Aucun transistor ne hurlait et personne ne semblait s’intéresser à l’arrivée de l’étape du jour du tour de France. Pourquoi se fichaient-ils tous du duel Aimar-Poulidor dans cette édition qui avait d’abord été marquée par la domination de Rudi Altig ? Et pourquoi tout le monde en le voyant avait-il un mouvement de saisissement, un geste de recul, une lueur d’effroi dans le regard ?

En retournant au parking il fut abordé par trois jeunes gens qui lui proposèrent des tongs de l’U.M.P. mais avant qu’il n’ait pu leur demander ce que signifiait ce sigle, ils avaient pris la fuite, visiblement effrayés.

Leur Deux chevaux Citroën n’était plus à sa place. D’autres véhicules inconnus de lui, plus ronds, plus massifs, avaient pris la place des Simca 1000, des P60, des 203 et même de la superbe DS 19 à côté de laquelle ils s’étaient garés. Ils portaient des noms ou des numéros étranges : Peugeot 206, Toyota, Renault Twingo, Espace et il fut étonné de lire le nom de Picasso sur l’une d’entre elles.

- Il y a un poste de secours sur l’autre plage » songea-t-il et, malgré le caractère incommode de ses sandales pour ce genre de sport, il se mit à courir le long du sentier sableux en surplomb de la plage. Il laissa bientôt sur sa gauche une suite de cafés, de restaurants et de boutiques de souvenirs bretons qu’il appelait « biniouseries », il contourna la grande terrasse du Forum de la mer et longea les cabines pour arriver sous le drapeau vert du poste du surveillant de baignade.

Un jeune C.R.S. en slip de bain rouge fronça les sourcils et eut une grimace dégoûtée en le voyant débouler. Camille reprit sa respiration et lui dit d’un jet :

- Je voudrais vous signaler deux disparitions : celle de mon épouse Agathe et celle de Titine, notre voiture. C’est une Deudeuche. Et puis je voudrais bien comprendre…

ddde

Si vous aussi désirez comprendre pourquoi Camille Cinq Sens ressemble à cela désormais, rendez-vous sur « Abbey road 10, Humour noir »  pour lire la fin de cette histoire.

Publicité
Commentaires
V
J'ai de la chance d'arriver tard. La suite est déjà disponible ;) .
Répondre
J
>Joye<br /> <br /> Ce n'est pas très gentil pour les Bretons, dont je suis désormais, mais ils ont autant d'humour que moi sur ce sujet. Il fait actuellement un grand soleil sur Rennes et le 14 juillet, près de Lannion, sous un ciel couvert (voir ici : http://joekrapov.free.fr/index.php?q=talbert) j'ai moi-même inventé le coup de soleil du randonneur : deux lanières de sac à dos blanches sur des épaules et un poitrail rouge écrevisse (je vous épargne la photo de la chose !) <br /> <br /> A très bientôt !
Répondre
J
Je commence par la fin, et je reste seulement deux secondes (parce qu'il FAUT que je sache comment cela termine !)juste pour dire que la Bretagne et la crème solaire ne seraient jamais deux idées qui me viendraient en même temps ! ;-)
Répondre
J
Monde parallele? voyage dans le temps? j'attends la suite. Quel suspense!!
Répondre
P
Influencé par le texte de Martine27, je croiserais bien les deux histoires. Un rayon de la mort qui tue qui déraille, mais, j'attendrais que sonnet les douze coups de midi pour en apprendre d'avantage.
Répondre
Newsletter
Publicité
Le défi du samedi
Publicité