Loreille et Lardu pénuriegologogues - Joe Krapov
Les deux
célèbres farfelus malgré eux, Stanislas Loreille et Olivier Lardu, tiennent une
conférence publique sur le thème « un futur sans essence » .
- Un monde sans essence, bien sûr qu’on survivra !
- Tout le monde sait bien qu’en France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées. On s’adaptera !
- Un monde sans essence, ce sera un monde sans effervescence, un monde où cessera l’absence de sens qui nous fait courir en tous sens. On arrêtera tout, on réfléchira.
- Car en fait, ça induit quoi, l’absence d’essence ?
- Ce sera la fin des pompistes dans les stations-service.
- Mais il n’y en a déjà plus !
- La fin de la guerre en Irak
- Mais euh… C’était pas à cause des armes de destruction massive, ça ?
- T’as pas tout compris, là encore, toi, hein ?
- La fin de la Françafrique !
- Mais il n’y en a déjà plus… J’ai rien dit, je sors.
- Plus d’essence pour les voitures, ça veut dire : marcher, courir, pédaler.
- Le retour des diligences, des carrioles, des pousse-pousse, des omnibus, du train de 8 h 47, de la longue marche, du facteur Cheval !
- Nous referons l’éloge de la bicyclette bleue, du grand bi, du fardier de Cugnot.
- Et du théâtre boulefardier de Gérard Cugnot !
- On raccourcira les distances entre le domicile et le lieu de travail.
- Vivre et travailler au pays ! Gardarem lou Larzac !
- Plus d’essence ce sera un grand malheur pour les poupées Barbie !
- Ah bon ? Pourquoi ?
- Plus de kérosène = zéro Ken !
- Ce sera la fin du briquet qui tangue dans les concerts de Francis Cabrel et des autres néo-babas !
- Ou alors le retour de la pierre à briquet en silex !
- De Lapierre et Collins ! Des Pierrafeu !
- Terminées les agences de voyage ! Visitez votre ville plutôt que d’aller à l’étranger embêter les autochtones !
- Sans compter qu’on embête aussi les gens qui habitent là !
- Je ne sais pas pourquoi on y va, d’ailleurs, à l’étranger. Je ne sais pas si tu as remarqué mais les gens ne parlent jamais la même langue que nous, là-bas !
- Ils sont bien plus pauvres aussi ! A Santorin, en Grèce, on chemine à dos d’âne plutôt qu’en quatre-quatre dans les escaliers.
- A Venise, pas une seule voiture ! Rien que des barcasses toutes noires ! Et pourtant le barcassier chante et rit tout le temps !
- Pourquoi eusses-tu voulu qu’il ne se gondolât point ? Vu le prix qu’il fait payer pour la course !
- On mettra des bateaux pop pop géants partout !
- Des pédalos ! Des bateaux mouches !
- Des hommes grenouilles !
- A force de se dépenser, les femmes auront des tailles de guêpes.
- Et nous des poignées d’amour et le bourdon en prime !
- Mais non, on courra aussi ! Surtout ce sera la fin des gros culs sur les autoroutes !
- Ah oui, ça c’est bien ! Les routiers sont sympas mais j’aime pas leurs camions !
- Quel bonheur pour les hérissons ! Traverser les routes la nuit sans risque de se faire écraser !
- On reviendra aux romans fleuves : on fera transporter les marchandises sur des canaux par des péniches, comme autrefois.
- Les chemins de halage serviront à autre chose qu’à la bronzette !
- Je comprends pas là ?
- Halage ! Creuse, un peu ! Et l’éclusier éclusera autant que Maigret dans les romans de Simenon !
- Ce sera Paris-Plage sur toute la longueur de la Seine !
- La voie expresse rive droite réservée aux lézards et aux escargots !
- L’Eloge de la lenteur sera une lecture obligatoire au programme de toutes les écoles.
- Ah oui, ce sera bien, un monde sans essence !
– Dis, Stan , tu veux bien continuer sans moi et m’excuser, j’ai une course urgente à faire !
– Oh, c’était pas prévu ! Où tu vas comme ça ?
- Le prix du baril vient encore de chuter et ça a été répercuté à la pompe. Je vais faire le plein de ma bagnole et de ma baignoire avant qu’il ne se mette à remonter.
Il sort.
Stanislas reste seul face au public, le gratifie d’un large sourire un peu
niais puis conclut, fort désappointé :
- Ce qui ne risque jamais d’arriver, malgré tout, c’est bien ceci : un monde sans indécence !