La tête de l'emploi (Caro-carito)
La
secrétaire fait entrer un homme à l’air un peu effaré.
- Entrez, entrez, mettez vous à l’aise.
L’homme
en complet bleu marine lui tend une chaise.
- Bien, vous avez donc eu en main
l’annonce parue dans le journal local.
L’homme,
en complet bleu marine, assis derrière son bureau, extirpe d’une pile de
documents et de dossiers une coupure de journal soigneusement pliée. Son
interlocuteur semble vouloir dire quelque chose.
- Je sais, je sais. Le texte est assez
précis. Voire trop précis. J’avoue, ce fut une erreur. Un de vos devanciers sur
cette chaise nous a même accusés de chercher un mouton à cinq pattes. Bien sûr,
c’était exagéré. Mais vous verrez, nous nous sommes amendés. Désormais, nous
allons à l’essentiel…
Une
pause
- Une bonne partie de ce qui est requis
n’est désormais plus d’actualité. Des détails, des requêtes, somme toute,
secondaires.
Il
marmonne : « très secondaires ».
- Bon, entrons dans le vif du sujet. Sexe.
Age, état civil, nationalité. Corpulence. Origine rac….
Il
s’approche de ses notes pour les relire comme s'il n’arrivait pas à déchiffrer
quelque chose. Entre ses dents : « Zut, c’était barré. »
- Bien, passons aux diplômes. Mettons
nous d’accord, nous voulions un double cursus avec expérience Erasmus exigée,
trilingue bien sûr. Mais avec le niveau actuel, ça n’est pas si important, vous
êtes bien dans la moyenne ? Avec un bac, un équivalent. Parfait.
Il
s’interrompt brusquement.
- Vous savez ce qu’est un
ordinateur ?
Soulagement
visible
- Une souris ?
Un
soupir de contentement.
- Français courant. Quelle question
stupide ! Vous avez bien compris l’annonce. Esprit de
débrouillardise ? Mais que diable, comment auriez-vous fait pour arriver
jusque chez nous sans une once d’ingéniosité.
Il
coche avec rapidité des cases sur une feuille dactylographiée.
- Bon la tenue. Cela peut
s’améliorer.
Il
fixe son interlocuteur, soupèse la chemisette avachie, les boucles blond-roux
qui entourent avec un vague désordonné le visage poupin et légèrement coloré de
son vis-à-vis.
- Un short par cette chaleur passe
encore. Je précise l’usage est circoncis au bureau.
Il
s’éponge le front avec un mouchoir en tissu.
- J’ai aperçu vos sandales. Cela donne un
look de touriste allemand égaré en France. Surtout avec les socquettes. Vous
êtes bien d'accord… Oui ? Comme le bob, vous me comprenez, ça ne fait pas très
sérieux pour un commercial.
- Le camping ? Vous acceptez déjà le
poste ! Martine, Martine, vite le contrat, le champagne… Ainsi vous êtes
disponible tout de suite… Quelle merveille !
Il
se tord les mains de joie, on croirait presque voir une larme perler au coin de
la paupière droite. La jeune femme du début entre dans le bureau quand une
grosse voix avec un fort accent teutonique cherche ses mots avant d’ânonner :
« Je viens de Munich, je cherche le camping des flibustiers de la Rance. »
Consternation générale.
L’homme au complet le raccompagne jusqu’au parking. En regardant partir le camping-car, il éprouve un léger pincement au cœur : « Quel dommage, il avait l’air vraiment bien… »