Lourde responsabilité (Papistache)
J’ai voyagé toute la nuit. Je suis crevé. En fait, je suis parti depuis deux jours et trois nuits. Je roule, je roule. C’est humide comme jamais. Vivement que je rencontre les candidats.
On est dimanche matin. Quelle idée d’organiser un entretien d’embauche un dimanche matin ! Une idée de la patronne. C’est toujours elle qui décide. Elle a tout planifié, tout organisé, mais c’est moi qui doit me taper le boulot !
La sélection. Oh ! J’ai en tête tous les critères. J’ai l’impression d’avoir toujours su que ce qu’elle attendait de moi. Elle a été claire, je n’aurai pas de deuxième chance. Ce sera dimanche ou bien... zou ! à la trappe le bonhomme. Remarquez, si je réussis à recruter le bon candidat, c’est la promotion assurée. Mon salaire multiplié par... pffff ! ! ! je ne vous dis pas! Une place au soleil et je laisse mon nom dans l’histoire !
Bon, c’est là ; j’installe mon bureau. Combien seront-ils ? Mystère ! Vu l’enjeu pour eux, j’ai peur que ce soit la bousculade, parce que... pour celui que je retiendrai, ce sera également le gros lot.
Oh ! Ça tangue fort ! Elle m’a dit que le rendez-vous aurait lieu à neuf heures. Il est huit heures cinquante-neuf. Je suis à mon poste. Les candidats peuvent entrer. Misère, mais combien ils sont ? Je pourrai jamais les évaluer tous. Je vais poser une barrière.
Bon sang, les critères... Elle m’a bien dit d’être exigeant : bonne santé, belle intelligence, pas de tare physique, de l’humour, sobre, non fumeur, polyglotte, artiste, poète... J’arrête, la liste est trop longue. Comment vais-je m’y prendre ? C’est la première fois que je suis dans cette situation.
Mais, c’est pas possible !
— Faites la queue, s’il vous plaît !
Oh ! Il en arrive de partout ! J’ai préparé mes questions, mais ça va pas être possible, il me faudrait six mois ! J’ai la matinée, seulement !
— Avez-vous une expérience professionnelle ?
Ce sont des gamins ! Comment pourraient-ils avoir une expérience professionnelle. Au moins, ils ont de l’enthousiasme et de l’énergie.
— Arrêtez de me tourner autour, les mecs ! Vous me donnez le tournis ! Je vous en prie, rangez-vous en file indienne. Je vais vous donner un numéro et vous passerez chacun à votre tour.
Ils sont mignons, mais pas disciplinés pour un rond. Qu’est-ce qu’elle m’a dit pour la discipline ? Rien ! De l’esprit d’initiative, qu’elle m’a dit. De l’audace, de l’audace ! J’en vois bien un, là, qui sent bon et qui voudrait forcer la barrière. Oh ! Comme il sent bon ! A moi, il me plaît. Je ne sais pas ce qu’elle en penserait. De toutes façons, je ne peux pas attendre plus longtemps. J’écarte la barrière.
— Allez viens, chéri ! La patronne sera contente. Dans neuf mois, on passe à la postérité. Ben, pour les autres, je suis désolé, les mecs ; j’ai rempli mon job. Je ne peux pas vider l’ANPE à moi tout seul ! C’est cruel, mais... vous étiez des millions et la patronne, elle n'ovule qu’une fois tous les vingt-huit jours.