Le 23 mai (Aude)
Le réveil sonne qui me tire d’une nuit lourde et sombre, une nuit dont on ne retient que l’atmosphère pesante des songes qui l’ont bordée. Je ne me pose pas de questions : si le réveil sonne, c’est qu’il est l’heure. J’observe sans émotion aucune le corps endormi près du mien. Je me lève, avance en somnambule jusqu’à la cuisine. Je suis prévoyante puisque j’ai préparé le café en avance. Je n’ai plus qu’à appuyer sur le bouton. Je jette un regard indifférent sur le grand calendrier accroché sur le frigo où les rendez-vous de chacun sont annotés au fur et à mesure. Nous sommes le 23 mai. Je n’y prête guère attention. Dans la salle de bains, je trouve mes vêtements soigneusement préparés pour aujourd’hui. Je n’ai pas de temps à perdre le matin on dirait. Douche rapide, maquillage express. Je claque la porte de l’appartement sans avoir croisé âme qui vive, pas même un vieux fantôme. Sur la route, je contemple la farandole des voitures, danse impitoyable pour celle qui ne respecte pas le pas.
23 mai. Pourquoi me dis-je qu’aujourd’hui est le 23 mai. C’est comme si cette date me rappelait un rêve ancien. J’aperçois au loin la sortie que je dois prendre. 23 mai, 23 mai 2008… Je me souviens de tout soudain. J’ignore ma sortie à la dernière seconde, je sais où je vais maintenant. Je vois ses yeux dans les miens et il me semble entendre sa voix, mélodieuse, douce. Toutes ces années, j’avais oublié ce chemin et je m’étais oubliée.
La quatre voies semble si droite, s’oubliant à l’infini, comme si elle n’avait pas de fin. Je fais le tour de ma vie, facile. Elle est si vide malgré l’emploi du temps surchargé qui est le mien : travail, deux enfants, un mari, des amis, les vacances deux fois l’an. Je n’en puis plus. Je laisse une vague de souvenirs déferler dans ma tête. Ses embruns mouillent bientôt mes yeux. Mais où est-elle celle qui voulait peindre, aimer, rencontrer du monde et voyager ? je mire dans le rétro cette inconnue qui conduit la voiture. Je suis devenue une femme froide et triste, prévisible et conventionnelle.
J’arrive bientôt face à la mer. Je range ma voiture et je cours avec le tailleur et les talons de cette inconnue que je suis devenue. On s’était quitté pour vivre nos rêves sans barrière. Nous avions choisi cette date : une voiture dont l’immatriculation était 2008 et qui venait de la Creuse, ça c’était pour le jour et l’année. C’était une R5, voilà pour le mois de mai. A cette date nous devions nous retrouver et nous raconter nos expériences et nos rêves accomplis. Je ne sais pas s’il se rappelle cette promesse mais moi, je me rappelle celle que j’étais et que veux redevenir.