Je te quitte (Aude)
Je te quitte.
Je t’offre cette maison qui était celle de ma grand-mère bien avant que je naisse, cette maison qu’elle me laisse habiter. Cette maison que j’ai tant aimée, cette maison entourée de ce petit bois qui cachait une clairière ensoleillée à l’herbe généreuse et moelleuse où je m’allongeais en lisant Colette et ses Claudine. Je te donne le petit étang aux libellules dansantes et aux nénuphars éclatants. Je t’offre aussi la tonnelle du jardin qui ploie sous la glycine et les roses grimpantes et où il fait si bon déjeuner les matins d’été. Voilà je t’offre cette maison.
Cette maison était pour moi l’ultime refuge, le lieu où rien ne pouvait m’arriver, lieu de réconfort et de douceur. Ces murs réconfortants portent aujourd’hui la trace des coups que tu me donnais, traces imperceptibles qui ont marqué le plâtre. Moi je les vois toujours, même la nuit je les devine. Depuis que je te connais, les murs de cette maison sont devenus gris comme ton âme.
La petite clairière n’est plus. Tu ne voulais pas de la petite chèvre qui l’entretenait. La petite clairière est aujourd’hui ronces et orties et les chemins qui menaient à elle ont disparu.
L’étang s’est changé en mare noirâtre et profonde. Les libellules sont mortes, comme les jolis tritons. Tu as laissé s’y déverser un bidon d’huile de vidange.
La tonnelle n’existe plus. Tu l’as sacrifiée à la hache pour faire un barbecue.
Voilà je t’offre une maison aux murs gris, entouré d’un bois sombre et froid derrière lequel se cache une mare aux eaux saumâtres et sans vie.
Ne te prends pas les pieds dans les racines mortes de la glycine et ne t’écrase pas le nez sur les épines des roses fanées.
Je t’ai donné la maison de ma grand-mère mais tu ne m’auras plus moi.