La caravane trépasse (Vegas sur sarthe)
Dans la pénombre et la touffeur du lieu j'enjambe un alignement de sacs poubelles débordant de vieilles hardes que leur propriétaire destine sans doute à l'Armée du Salut qui n'en saura que faire.
Sur une table de camping bancale trône un aquarium poussiéreux rempli de flacons et produits de beauté d'où émanent des relents plus proches du poisson avarié que d'un numéro 5 de Chanel …
Plus loin sur un fauteuil Emmanuelle en rotin étripé dort un poste de TSF Pathé Marconi que côtoient des boîtes de pâté et de macaronis.
Contre la cloison tapissée de tissus berbères et de peaux de chèvre pendouille le fameux lavabo pour lequel on m'a téléphoné en urgence et où un usager en manque de bidet s'est manifestement assis !
Je ne peux m'empêcher de proférer ces mots traduisant le spectacle hallucinant qui s'offre à moi : « Mais c'est un vrai B..... ici ! »
Dans le fond de la caravane, une voix féminine bien que rocailleuse sort d'un amas de couvertures évoquant une literie : « Evidemment ! Z'avez pas vu la serviette et le savon à l'entrée ? »
Une tignasse rousse et hirsute s'agite, encadrée à la manière de presse-livres par deux armoires à glace qui cuvent et que je n'ai nullement l'intention de réveiller.
Je bats en retraite, tournant les talons et entraînant avec eux une serpillière du siècle dernier qui s'avère être une guêpière du siècle d'avant.
Je gagne la sortie – heureux de gagner quelque chose – enjambant de nouveau le rempart des sacs poubelles qui obstrue la porte.
Le rire gras de la rousse m'accompagne quand je me retrouve dehors où aboie un chien pouilleux.
Je jette un dernier regard à la caravane ; un écriteau délavé par la pluie annonce « Ici, on fourre tout »