Le Bastringue, c'était l'endroit à la mode, le mieux coté ...(non j'exagère), le plus accessible, de nos campagnes du Pas-de-Calais, à des kilomètres à la ronde. Comme tous les lieux fréquentés par les jeunes, il avait ses habitués. Tu étais l'un de ceux-là, avec ton p'ptit côté Josh Randal (dans "Au nom de la loi"), tu m'avais tapé dans l'oeil !
Je venais m'y trémousser sur des airs de New-Eve et tant pis si j'y respirais mal... La fumée de centaines de cigarettes, s'élevait just'au dessus de nos têtes, pour très vite ne plus former qu'un monstrueux brouillard, piquant nos yeux et imprégnant nos vêtements.
C'était l'excuse toute trouvée pour sortir prendre le frais, et pour ainsi pouvoir se parler puisqu'à l'intérieur, la musique trop forte, nous obligeait à user d'un autre moyen de communication. Une œillade voulait dire : <<Je t'ai repéré>>, un rapprochement :<< Tu me plais>>, un regard accompagné d'un sourire : << Je te réserve toute la série de slows qui arrivent...>>.
On avait toute la vie pour discourir mais, que ces soirées pour nous étourdir. Nous étions pris d'une urgente envie de vivre nos émotions, en vitesse accélérée, en montant dans les tours et en poussant les rapports ! La désillusion transformerait bien assez vite nos bolides en citadines raisonnables, avec reprise à l'argus... avant... l'ultime prime à la casse...
Ces soirs là, j'abandonnais mon jean et mes tennis pour des jupettes à volants, des chemisiers cintrés ou des robes minimalistes. << On a pas tous les jours dix-huit ans !>> J'assumais une féminité, un soupçon provoquante, sublimée par des regards appuyés de mâles aux aguets. J'étais là pour séduire...pour TE séduire.
-Viendrais-tu, ne viendrais-tu pas ?
Plusieurs fois, il me semblait t'apercevoir, il me semblait reconnaître tes cheveux, ta nuque, ta démarche, ton blouson préféré...Alors, le coeur battant je m'approchais, je glissais comme une anguille entre les rochers, slalomant entre les danseurs. J'écrasais inévitablement des pieds, m'excusais, écartais sur mon passage des filles qui ralaient, des jeunes hommes qui me dévisageaient.
Des jeux de lumières, projetaient des pastilles multicolores sur les murs. Des rayons transperçants balayaient la piste de dance et exhibaient nos dessous blancs en rythmes syncopés.
J'approchais ton fantôme, et traînais une nouvelle fois ma mine dépitée, le long des banquettes molles. Je m'asseyais quelques instants puis refaisais le chemin inverse pour me rendre aux toilettes. Les lieux étaient toujours occupés, les miroirs toujours pris d'assaut. Je jouais des coudes, la concurrence était rude...Je vérifiais alors ma coiffure, me repassais un peu de rouge sur les lèvres, réajustais mon chemisier...Dans une chaleur moite, on s'aspergeait de déodorant et on avalait une giclée d'eau fraîche, du robinet.
À force de t'espérer tu es arrivé.
Mon regard, habitué à scruter les lieux s'est éclairé, d'un coup, d'un seul et t'a amené à moi par la voie rapide du désir qui couvait... J'avais balisé nôtre espace pour ne plus te perdre, toutes griffes dehors, j'étais prête à en découdre avec qui t'approcherait ! Je m'appropriais, en un instant, ton sourire et tes baisers.
Tu étais paré de tes plus belles jantes, et c'est, m'aveuglant de tes pleins phares que tu t'es garé tout contre moi, avec juste ce qu'il fallait d'arrogance, pour me plaire...Moteur tout ronronnant, peinture pailletée d'or, carrosserie étincelante, ton habitacle était stylé, et tes essuies-glaces plus qu' efficaces. Ton rodage était manifestement terminé.. Tu m'as emmené, sur les chapeaux de roues...La balade fut mémorable, la chaleur, tout d'abord intimiste, s'intensifia pour trouver son apogée sous un ciel étoilé. Je suis rentrée, des nuages éfilochés dans mes cheveux décoiffés et les yeux plus clairs que jamais. Les lutins de mon enfance perdue, culbutaient dans les fossés. le mal des transports ne m'avait pas flanqué la nausée, une fée ne m'avait pas quittée... Tu es reparti avant l'aube, le réservoir presque à sec... Je t'ai fait un petit signe de la main. Il te fallait visiter encore tant de lieux-dits et prendre tant d'autres chemins...sur la longue route de la vie. Quand j'y repense, j'en souris,...et je fredonne,... NON...!, riiiien de riiiien, NON...!, je ne regrette riiien...