Participation de JAK
L’oiseau rare
L’hiver avait promptement confisqué l’automne pluvieux. Aussi lorsque Léon sortit de la tortueuse traboule, il vit sous les lampadaires déjà allumés, la neige tomber imperceptiblement sous le halo de la lumière blafarde. Cependant, il la sentait bien, elle s’infiltrait dans son cou. Il releva le col de sa vieille canadienne instinctivement, et pressa le pas pour atteindre son cher Bazar Du Bizarre.
Il fréquentait régulièrement le lieu où l’on trouvait souvent l’impossible. Mais, ce soir, par ce temps, quelle idée impérieuse avait-il pour s’être déplacé dans le but de trouver ce qu’il convoitait avec tant d’ardeur.
Léon, un collectionneur-bricoleur de première, était toujours à la recherche de bidules insolites que l’on ne trouvait nulle part. Il les collectionnait après leur avoir donner une seconde vie.
Depuis que sa femme l’avait quitté, pour un je-m’en-foutiste, un bon à rien, il avait tout son temps. Plus de reproches, son passe temps favori l’accaparait, lui faisant perdre toute notion du temps. Peut-être une douceur pour compenser la solitude ? Lui même n’en avait pas conscience.
Généreux, ce dada il en faisait aussi profiter ses voisins, rendant de menus services ...Notamment la coquette veuve du 5ieme à qui il manquait toujours quelque chose. Elle le guignait avec de grands yeux reconnaissants, mais il n’osait conclure…
Il descendit les deux marches de la boutique dont la porte était singulièrement en contrebas. Le carillon en bambou émit un tintement au calme exotique qui contrebalançait l’embrouillement que l’on entrevoyait dès l’entrée : Un véritable capharnaüm s’offrait au regard.
Léon habitué des lieux, loin d’être interloqué, entreprit, hasardeux ses recherches. Evitant les embûches de cette pagaille effroyable il se frayait un chemin parmi les trucs-machins-choses hétéroclites posés un peu partout sans aucune logique…
C’est bien le grand rébus des rebuts pensa-t-il en souriant.
Sortie de nulle part, une sorte de virago surgit, la propriétaire. Le mot tenancière aurait mieux convenu vu l’état bordélique de l’antre. Son apparence insolite ne dénotait pas avec le décor. Maigre et longue à n’en plus finir avec sa souquenille, le chignon en bataille, elle avançait vers lui traînant ses pas sur de vieilles babouches, un cigare de guingois à moitié consommé sur les lèvres :
« C’ quoi que vous cherchez jeune-homme ? »
Lança- t elle à Léon (qui cependant allait sur ses 50 allégrement). Mais vu l’âge plus que canonique de la daronne on comprenait le manque d’appréciation…
Léon obnubilé par sa recherche ne prit même pas garde à cette demande tonnée sur un ton peu amène. Puis enfin, excédé de porter un regard infructueux sur cet océan de merdouilles, il précisa à la femme, l’objet précis de sa recherche.
La vieille alors, surprise, se dérida, ce qui la rajeunit d’un coup de plusieurs décennies.
« Vous aussi vous en cherchez Une ?»,
dit-elle en se désopilant à Léon ébaudi qui leva un sourcil surpris interrogateur
« Bizarre cette coïncidence !, En 70 ans de commerce jamais on ne m’en a demandé ! Mais pas plus tard que tantôt, une jeune personne, une veuve d’environ 50 ans (pour elle tout le monde était jeune) est venu en quérir une. »
« Pour ma part je n’en ai jamais vu, ni même imaginé »
Et elle enchaina :
« Et pour trouver ça ici, il faut vraiment être désespéré !
Mais mon p’tit c’est comme si vous me demandiez de vous dénicher l’oiseau rare !
Ah ! Ça oui, trouver la clé qui ouvre la porte du bonheur c’est bien incongru dans un bazar! »
Léon acquiesça mollement, et reparti bredouille mais, mais tout ragaillardi dans sa tête, car il avait sa petite idée……
Et c’est direct qu’il monterait au 5° en arrivant chez lui, sans même attendre l’ascenseur.