Darcy, c'est trop tard, dis...
"C'est décidé! Fitzwilliam Darcy, richissime propriétaire d'un vaste domaine dans le Derbyshire, a pris la résolution d'accepter l'invitation de son ami Charles Bingley et de l'accompagner durant quelques semaines à Netherfield, belle propriété qu'il vient de louer. Certes, dans ce coin perdu du Hertfordshire, il ne peut s'attendre à partager la société de personnes raffinées mais il tient à faire plaisir à son ami.
En ce beau mois de septembre, les longues chevauchées en campagne, les parties de chasse et de billard, the tea-time quotidien, les repas raffinés, les soirées entre amis sont les activités coutumières de la gentry et Darcy y participe avec plaisir.
Il n'en va pas de même avec les visites de courtoisie aux propriétaires du voisinage : ce n'est pas une sinécure pour lui... Puis arrive l'annonce du grand bal de Meryton. C'est sans aucun enthousiasme que Darcy accepte d'honorer de sa présence cette réunion campagnarde.
Avant de participer, contraint et forcé, au rustique bal de Meryton, Darcy décide de faire une longue balade à cheval dans les environs, histoire de se vider l'esprit. Hélas, au bout de deux longues heures de cavalcade, malgré son sens aigu de l'orientation, force lui est de constater qu'il est bel et bien perdu. Il se retrouve au milieu d'un petit village désert, dont les maisons sont en ruines et les rues toutes encombrées de malles, de paquets et de vieilles charrettes. Face à ce spectacle de désolation, Darcy descend de cheval et fait quelques pas dans les rues dévastées…
"Que faites-vous là, mon jeune ami?"
Une voix masculine, toute empreinte de bienveillance, sort brutalement Darcy de sa méditation. Il se retourne et se retrouve face à un homme chenu, au visage souriant éclairé par un regard bleu acier entouré de petites lunettes rondes.
Courtoisement, Darcy s'incline devant le vieil homme pour le saluer, l'informe qu'il est perdu et qu'il cherche à rejoindre le domaine de Netherfield.
"Netherfield ? Connais pas!
- Voilà qui est fort contrariant!
- Venez! dit l'inconnu en tirant le cheval de Darcy par la bride. Nous allons réfléchir ensemble à votre situation en savourant un bon thé. C'est l'heure!"
Darcy suit docilement le vieillard en se demandant où il peut bien résider vu l'état de désolation du village et c'est dans une adorable maisonnette, un peu à l'écart du village, que Darcy et son hôte partagent un excellent thé. Répondant aux questions de Darcy, le vieil homme raconte son invraisemblable histoire puis au bout d'un moment:
"Venez, je vais vous montrer!"
Darcy, sur les pas de l'étrange bonhomme, arrive dans une immense pièce aux boiseries sombres, emplie d'imposantes machines à vapeur, de manettes, d'engrenages, de rouages, de poulies, de leviers, de claviers, de cadrans, de cabines éclairées par des hublots rivetés… un univers inattendu pour l'esprit cartésien de Darcy.
"Mais que faites-vous dans cet atelier?
- Mon jeune ami, je fais du bricolage ! répondit le vieux bonhomme avec un large sourire. Je fabrique, je transforme, je répare, je modifie, j'expérimente… Regardez!"
Dans un coin de la pièce, il soulève un drap et sous les yeux ébahis de Darcy, apparaît alors un énorme cylindre au sommet ovoïde, équipé de boutons, de cadrans, de grilles, de hublots, posé sur un petit piédestal en forme de pyramide et muni de chaque côté de deux espèces de très longs bras touchant le sol.
"Mais …qu'est-ce que c'est que ça? demande Darcy, les yeux exorbités.
- Mes initiales étant R. et D. et ce spécimen étant le deuxième de ma fabrication, je l'ai appelé R2D2.
- Mais qu'est-ce que c'est?
- C'est un outil ultra-perfectionné. Il peut tout faire sauf utiliser notre langage articulé."
Darcy n'en croit pas ses yeux.
"Et j'ai un autre projet: voyager dans le temps!
- Pardon!
- Oui, j'ai conçu cette machine à explorer le temps. Et ça fonctionne! "
Il pointe du doigt une cabine en fer, percée de trois hublots cerclés de fer et munie d'une lourde porte blindée. A l'intérieur, un siège en cuir, des manettes, un cadran de machine à sous, des boutons…
" Je n'ai pas encore testé moi-même la machine mais j'ai essayé avec des mouches, des souris, un lapin, une poule, un chat, un chien…et ça marche. Je les ai envoyés dans l'espace temps en choisissant l'année sur ce cadran et ils ont disparu de la cabine. J'ai affiché notre année et ils ont réapparu! Ma machine fonctionne! Oui, oui, elle fonctionne !"
Désormais convaincu d'avoir pour interlocuteur un vieux savant fou, Darcy pense qu'il est temps de prendre congé:
"Je vous félicite, Monsieur pour votre travail très intéressant et je vous remercie très sincèrement de m'avoir mis dans la confidence de vos exploits scientifiques mais il me faut rentrer maintenant. Le temps passe très vite en votre compagnie et je crains d'être très en retard au bal organisé ce soir à Meryton.
- Encore un petit moment, mon jeune ami…"
A ce moment, Darcy sent venir une effroyable migraine et ses membres s'engourdissent peu à peu. Sans savoir comment, il se retrouve enfermé dans la cabine à explorer le temps, ceinturé sur le fameux fauteuil de cuir, incapable de bouger ni de parler. Au travers d'un des hublots, il aperçoit la face joyeuse du vieillard qui lui fait un signe d'adieu de la main tout en lui montrant une tasse de thé. Le thé! Son thé était donc drogué!
Dans la cabine hermétiquement fermée, se trouve également R2D2 qui virevolte sans cesse autour de Darcy. Brusquement, un épais nuage de buée emplit la cabine. Darcy, effroyablement inquiet de ce qu'il va lui advenir, suffoque et ne voit plus rien dans ce brouillard humide. Lorsque enfin, la buée se dissipe, Darcy ne peut toujours pas parler alors qu'il voudrait crier, hurler, appeler à l'aide... Sur le fauteuil, il découvre son corps élégant surmonté de la tête métallique de R2D2 et il comprend, avec effroi, que sa propre tête est sur l'engin cylindrique. L'horreur absolue!"
Et c'est à ce moment qu'Épamine se réveilla, constatant avec plaisir qu'elle venait juste de faire un abominable cauchemar. Sur sa table de nuit, "Orgueil et Préjugés", le célèbre roman de Jane Austen…
Ouf! Le beau Darcy avait toujours sa belle tête sur les épaules et Miss Elisabeth Bennett pourrait bientôt en tomber follement amoureuse…